De Nicolas Ancion, je garde le souvenir assez étrange d'un auteur à la fois agréable à lire,
délicieusement onirique mais un peu court en bouche, laissé par ma lecture de son "Cahier gonflable", paru aux éditions de l'Hèbe, dans les années 1990 - une lecture effectuée en service
commandé pour le journal suisse "La Gruyère". Depuis, je ne sais pourquoi, son nom
m'est resté en mémoire, davantage sans doute que les vicissitudes de Klouklou et consorts. C'est ainsi que je suis tombé sur son recueil "Nous sommes tous des playmobiles", dont le titre est
doublement accrocheur: comparer tout un chacun avec des Playmobils, il fallait oser - surtout avec une faute d'orthographe!
Nous savons donc à présent que Nicolas Ancion a le chic pour trouver des titres accrocheurs; son recueil n'a, par ailleurs, rien d'une plaie mobile. Alors, ces bonshommes en plastique au sourire
énigmatiques, récemment
endeuillés, où sont-ils, dans ce livre?
Avec "Nous sommes tous des playmobiles", Nicolas Ancion signe un recueil de nouvelles mûr et abouti, qui assume sans complexe son identité bruxelloise. Cela se traduit par la mention de lieux
(béguinage, gare du Midi, Grand-Place, Rue de la Loi, etc. - un paysage qui rappelle celui de "Bergère légère" de Félicien Marceau, avec pour lien de parenté un certain esprit frondeur), par
le rappel d'un héritage des colonies dans l'un des textes, par l'évocation d'institutions telles que l'Académie royale de Belgique, qui fait écho à l'Académie française dans "Bruxelles
Insurrection". La "belgitude" se traduit également par quelques belgicismes disséminés çà et là, à des doses mûrement mesurées, ainsi que par l'évocation de bières locales - ne manquent que les
chocolats Godiva.
Les lecteurs de nouvelles à chute apprécieront ces textes, même si elles n'ont pas le côté "coup d'assommoir" qu'on trouve chez Emmanuelle Urien. Reste que la règle est respectée: l'auteur balise
son texte, et le lecteur voit s'éclairer toute l'affaire au terme du récit. Pourquoi, par exemple, le personnage principal de "Moi, je dis qu'il y a une justice" se gratte-t-il frénétiquement
l'entrejambe? On le comprendra à la fin, quand l'auteur aura répondu à toutes les autres questions, autrement importantes, de sa nouvelle. L'auteur oscille entre les dénouements optimistes (celui
de "La Tache de sauce" est à ce titre exemplaire) et ceux qui soulignent le caractère dérisoire, voire absurde, de certaines démarches ("Bruxelles Insurrection" se termine par exemple sur les
mots: "L'insurrection avait commencé, mais personne ne l'avait remarqué"; quant au secret du narrateur de "Mon secret", est-il si essentiel que cela? L'auteur fait mousser
son propos pour, finalement, décevoir avec adresse).
Ce côté dérisoire pourrait faire penser à des nouvelles superficielles, frivoles même. Mais tous les jeux, les Playmobils comme les autres, sont ce qu'il y a de plus sérieux. Ses personnages
agissent donc en pleine possession de leurs moyens physiques et intellectuels, qu'il s'agisse d'un rond-de-cuir rongé de remords à la suite d'un accident de voiture ("Haute pression", avec
un jeu de mots explicite sur la canicule de l'été 2003), des ravisseurs de l'Académicien français en goguette ("Bruxelles Insurrection"), du photographe de la Grand-Place ("Châteaux en Espagne",
une histoire d'amour qui finit bien) ou de l'homme qui se débarrasse de son épouse en entraînant des brigands dans sa combine ("Moi je dis qu'il y a une justice").
Sérieux et dérisoire comme un jeu perçu à travers les yeux d'un enfant, donc. Mais le recueil partage avec les Playmobils deux éléments encore, bien concrets et caractéristiques. Le premier est
le regard rond et fixe, émerveillé ou en tout cas approbateur. Le lecteur voit défiler ainsi des récits assez développés où se concentrent péripéties et coups de théâtre. Le second est le sourire
perpétuel. Car derrière ces histoires de personnages aux jambes raides, de bonshommes en plastique, se cache toujours une part d'humour. Elle éclate en particulier dans le choix des images, mais
aussi dans le genre même des coups de théâtre que l'auteur ménage. Et l'on se surprend à sourire à ses jeux de paroles...
... jeux de parole qui sont également des réflexions habiles sur le monde de l'édition et sur cette langue française pilotée par les Parisiens, sur lesquelles les Belges francophones n'ont rien à
dire (ni les Suisses d'ailleurs) - tel est le propos, à prendre au deuxième degré, de "Bruxelles Insurrection". Le monde de l'édition est également agrafé (!) dans "Bureau, fais ton office" ou
dans "Haute pression", qui relate les vicissitudes d'un manuscrit égaré, adressé aux Editions de Minuit, confondues, pour le coup, avec un producteur d'ouvrages coquins...
Nicolas Ancion, Nous sommes tous
des playmobiles, Bruxelles, Le Grand Miroir/Paris, Presses Pocket. 2008.
Le blog de Nicolas Ancion: http://ancion.hautetfort.com/