... je l'ai
rencontrée sur Wikipedia, et j'ai immédiatement signalé que Georges Flipo avait donné le nom de cette danse à l'un de ses recueils de nouvelles, paru en 2004. "Vous voyez, je n'invente rien",
semble dire, voire dit franchement, l'auteur au détour de certains des textes qui composent "La Diablada". Ce n'est pas faux: mais ce qu'il invente semble donner, chez Georges Flipo, ce
supplément d'imaginaire qui fait que ses textes deviennent autant de mensonges qui disent la vérité.
Mensonge sur soi, d'abord, ou vie rêvée: tel est le thème qui sous-tend le fonctionnement du personnage du riverain, spectateur goguenard d'un cycliste, dans "Acide lactique". Vivre ses
rêves par procuration, cela paraît faire écho aux danseuses de "Confitería Ideal", nouvelle tirée du recueil frère "Qui comme
Ulysse": celles-ci se présentent de manière suffisamment sybilline
pour que leur cavalier s'imagine une vie rêvée, loin du caratère prosaïque de l'existence de chacune. Mensonge de l'oeuvre d'art, également, dans la nouvelle "L'Avarice, attribution incertaine":
est-ce l'oeuvre d'art (en l'occurrence une peinture) qui ressemble à la réalité, ou le réel qui finit par ressembler à l'oeuvre? L'auteur réussit là un joli fondu enchaîné qu'on aurait envie de
voir adapté au cinéma.
L'auteur a par ailleurs un goût prononcé pour l'Amérique latine. Le lecteur a pu y goûter dans "Qui comme Ulysse"; il le retrouve dans "La Diablada". Tendu entre vaudou et lambada, le titre annonce la double couleur. Il y a certes une part
d'exotisme qu'on pourrait trouver racoleur; mais Georges Flipo sait que pour que l'effet soit réussi, l'exotisme ne doit pas servir d'habit à un texte faible. Ses textes sur l'Amérique du Sud
revêtent donc par ailleurs une magie particulière, aux confins du fantastique. Ce qui est pertinent: les légendes n'ont plus guère droit de cité sous nos latitudes, devenues trop cartésiennes,
trop rationnelles, mais vivent encore en Amérique latine, où vivent des peuples mystérieux. Nouvelle éponyme, "La Diablada" est emblématique à cet égard: Georges Flipo présente certes le sens
officiel de cette danse nommée "Diablada", où le mal s'exprime pendant les quelques jours du carnaval, avant de céder la place au bon ordre. Mais il rajoute une couche de mystère lui donnant
un deuxième sens, celui du triomphe de la religion indigène sur la religion du conquistador. A partir de là, que devient son personnage principal, pris dans la danse? En fin de nouvelle, le
prêtre lui adresse-t-il un signe d'adieu ou une bénédiction? L'auteur ne tranche pas vraiment... et le lecteur reste dans le doute.
Le thème du voyage, cher à l'auteur (je recommande "Qui comme Ulysse", consacré à ce sujet) charrie également celui du touriste importun. On l'a rencontré dans "Nocturne" (recueil "Qui comme Ulysse"), mais aussi dans "Journée libre",
deux textes qui semblent se faire écho d'un recueil à l'autre. De même que c'est en faussant compagnie au groupe que le personnage principal de "Nocturne" découvre un instant de danse unique,
c'est en faussant compagnie au Comparateur, touriste importun du groupe, présenté comme celui qui ne comprendra jamais rien à rien, que le couple de "Journée libre" découvrira la boutique de
poupées des "Niñas de Jesús" - et en particulier la mystérieuse poupée Serafina. Porte-bonheur, vraiment? Je laisse au lecteur le soin de découvrir lui-même le fin mot de l'affaire.
Il y aurait aussi à dire sur la tendresse du regard de l'auteur (qui éclate dans "Les oiseaux n'aiment pas le sel"), ou sur la manière qu'il a d'aborder les mille et une facettes de cette
compagne amère qu'on appelle la solitude - un thème qui traverse également le recueil. Mais je préfère laisser à chacun le soin de découvrir tout cela: l'ouvrage en vaut la peine.
Georges Flipo, La Diablada, Paris, Anne Carrière, 2004.
Georges Flipo, Qui comme Ulysse, Paris, Anne Carrière, 2008.
Sur la diablada: http://fr.wikipedia.org/wiki/Diablada