Les disparitions d'enfants ont fait les gros titres de la presse ces derniers mois, notamment en Autriche. Sans
doute sont-ce cependant les hasards du calendrier éditorial qui ont poussé les éditions Actes Sud à faire paraître, l'an dernier, une traduction de "Sans personne", roman de l'écrivain canadien
Barbara Gowdy - qui évoque précisément un rapt d'enfant quelque part au Canada.
Thriller psychologique, promet l'éditeur. J'aimerais lui répondre que c'est quand même le côté psychologique qui domine l'aspect thriller, donnant à toute l'affaire un arrière-goût de téléfilm.
Il n'y a guère de suspens, en effet, sur l'issue de l'histoire: on sait que Rachel, la fillette enlevée, sera libérée - reste seulement à savoir comment. Il n'y a pas non plus de coup de théâtre
ou de retournement de situation spectaculaire, propre à rendre l'action palpitante. Ce qui est palpitant, en revanche, c'est bien sûr l'étude psychologique des personnages et l'affrontement des
âmes.
Le lecteur est en effet invité à assister à l'évolution des personnages principaux, en particulier Rachel: comment vit-elle sa captivité? Ron, un homme apparemment bien sous tous rapports
(comme souvent dans ce genre d'affaires) l'a séquestrée; il cherche à la séduire par des aspects matériels: sa collection d'aspirateurs, une jolie chambre, la force physique - qui
emportera l'adhésion. Sa compagne Nancy, elle, jouera la séduction en essayant d'être la copine de Rachel - après être entrée dans le jeu à reculons, elle s'y livre sans retenue et révèle un pan
peu reluisant de sa personne en p. 231. Dans un premier temps, ça marche mieux pour Nancy que pour Ron; ensuite, quand Ron gagne du terrain, Nancy la doucereuse, qui n'admet pas qu'elle ne
pourra jamais enfanter, éprouve du ressentiment, presque de la jalousie envers Ron.
Du côté des gentils, on trouve Celia, la mère, chanteuse de bar. Le prière d'insérer évoque son sens de l'action; est-il réel? Certes, on la verra coller des affichettes et distribuer des tracts;
mais ce n'est pas grâce à cela que Rachel retrouvera la liberté - mais bien par l'action de Ron, contraint au suicide après avoir commis le geste de trop. A côté de Celia, se trouve Mika, le
propriétaire, qui entretient une relation plus qu'amicale avec sa locataire Celia.
Et c'est là qu'en filigrane, on a envie de lire le regard que l'auteur porte sur ses personnages masculins. Ron est le ravisseur, il se rend justice, la cause est entendue; mais Mika n'est-il pas
trop poli pour être honnête? Tout au long du roman, on s'attend à ce qu'un coup de théâtre révèle un visage différent de ce personnage, que la police interroge de manière assez poussée, et que
les ravisseurs dépeignent à la fillette comme une mauvaise personne. Ainsi, le lecteur ne pourra jamais avoir un attachement sans faille envers les hommes du roman.
Un curieux arrière-goût reste donc au terme de cette lecture où rien n'est épargné au lecteur, ni l'enfance difficile de Celia, ni celle de Ron, encore moins celle de Nancy... et où même un
certain syndrome de Stockholm apparaît. On mentionnera aussi, pour mémoire, les rêves (fréquemment décrits) et les intuitions qu'ont (ou prétendent avoir) les personnages: Rachel est
vivante, on le sent dans l'air du temps, etc. - une manière de dramatiser l'instinct parental et d'insérer un zeste de fantastique et de doute dans ce récit.
Barbara Gowdy, Sans personne, Arles, Actes Sud.