"Un rêve plus grand que son âge" est un recueil de nouvelles qui constituent autant d'instantanés de la vie quotidienne au Maroc - une
vie présentée comme jamais facile, entre combines, misère vécue au quotidien et espoirs fous, incarnés par l'Espagne et l'Italie qui se profilent à l'horizon et sont évoqués dans deux textes -
une fois de manière théorique en salle de classe, une fois de façon pratique, par le biais de Marocains tentant une traversée en zodiac. Signé de l'écrivain marocain Lahoucine Karim, ce petit
livre vaut le coup d'oeil: sous des dehors très sobres, il a sa force, et a quelque chose à dire à son lecteur.
On dira qu'il s'agit d'un ouvrage de littérature africaine de plus, avec l'exotisme qu'on est en droit d'attendre et que l'auteur africain devrait fournir à la demande... que nenni! Lahoucine
Karim ne coupe pas dans cette combine. Sa langue est des plus sobres, relevée quelquefois d'un soupçon de poésie, à l'instar de la toute première phrase de la première nouvelle du recueil, "Le
Cri",, qui suggère la chaleur estivale du pays: "Le soleil, tous les soleils se levaient lentement."
Arrêtons-nous, justement, sur cette première nouvelle, car elle contient finalement un panorama complet de ce que peut être la misère en Afrique du Nord. Cela commence dès la page 6, avec
l'évocation des difficultés qu'a une mère à allaiter son enfant - un enfant qui ne porte pas de couches, bien sûr. Sans pathos, le lecteur sait dans quoi il est plongé; tout au plus relève-t-on
un petit côté agité dans les dialogues, porteur de vie et d'esprit dans le texte. C'est aussi une misère qui oblige à manger n'importe quoi, même ce qu'il y a de plus inavouable: "On avouait
ce qu'on avait mangé hier", relève l'auteur en p. 11. Ainsi, les personnages disent et montrent leur condition.
L'auteur n'oublie pas, dans ce texte, la misère sexuelle et amoureuse de ses personnages masculins - ce qui n'est pas sans rappeler un Alain Soral prompt à dire que le garçon pauvre
a davantage de peine à approcher une femme et à arriver à ses fins. Quand malgré tout le personnage y arrive, il est encore dérangé (fin de la nouvelle). C'est exactement ce qui se
passe dans "Le Cri", où les garçons observent les filles de loin, comme des êtres inaccessibles voire interdits. En matière familiale, par ailleurs, les pauvres sont nombreux sous un même toit;
la télévision leur rappelle, toutefois, qu'une famille type devrait avoir peu d'enfants - ce que révèle la publicité.
D'autres textes offrent cependant plus d'espoir aux personnages amoureux, qu'on croise assez souvent sous la plume de Lahoucine Karim; mais les amours sont souvent contrariées, ou impossibles, ou
rendues difficiles par les interdits sociaux, les grossesses non voulues ou le sida, fléau qui hante les lignes de certains textes. Cela, sans oublier l'enfant mort-né d'Aîda, qui
a choisi d'aller tenter sa chance en Espagne, dans "Embarquements".
Lahoucine Karim, Un rêve plus grand que son âge, Paris, La Chambre d'échos, 2008.