"Minuit Chrétiens" est un hymne religieux fameux composé au cours du dix-neuvième siècle par Adolphe Adam (à qui l'on doit
également le ballet "Giselle") et Placide Cappeau, négociant en vins à Roquemaure (Côtes-du-Rhône) dont la postérité est un peu moins évidente - on dit même qu'il était
farouchement républicain et anticlérical. Mais enfin, passons: ce n'est pas pour cela que l'histoire a retenu son nom, mais bien pour le texte de "Minuit Chrétiens".
Ce tube religieux a connu une popularité jamais démentie, finissant par échapper à ses créateurs. La critique s'en est mêlée, en dénonçant le mauvais goût: "Le succès de Minuit
chrétiens ! est, d’un certain point de vue, quelque chose de plus affligeant et de plus grave que le fait de l’avoir composé (...). Il semble qu’un minimum de décence devait s’opposer à
ce qu’on honore un homme qui a positivement traîné la musique dans la boue, qui a fait pis que flatter le mauvais goût de la foule, car il l’a abaissé, avili, dégradé (...). Pour qui aime la
musique, l’enfer, c’est peut-être de devoir écouter ses œuvres à perpétuité", déclare par exemple le compositeur et pianiste Robert Bernard (1900-1971) au sujet du compositeur, dans son
"Histoire de la musique", aujourd'hui bien oubliée. Le pape lui-même s'en mêle: par un motu proprio, Pie X recommande de ne pas interpréter cette pièce dans les églises, en raison de son
caractère trop théâtral et trop peu religieux.
Une approche discutable. D'un côté, certes, la pièce est propice à l'emphase grossière, voire à des cris qui ressemblent davantage aux chants de sortie de bistrot qu'aux accents recueillis d'une
oeuvre religieuse. D'un autre, le "Minuit Chrétiens" d'Adolphe Adam n'est certainement ni la première, ni la dernière oeuvre religieuse à avoir un arrière-goût d'opéra plus ou moins appuyé, voire
d'opérette. Autres temps, autres moeurs, même si parfois, le mélange est mieux (ou moins mal) réussi - pensons aux messes de Mozart, par exemple, mais aussi à la "Petite messe solennelle" de
Rossini - dont la vocation n'a, soit dit en passant, jamais été de nourrir quelque liturgie.
Et c'est là que j'interviens... puisque la chorale "L'Avenir" de la paroisse de Morlon, où je joue de l'orgue, m'a prié de tenir le solo de "Minuit Chrétiens" à l'occasion de la messe de
minuit - célébrée à 18 h 00, faute de personnel à l'heure fatidique. Que faire avec cela? Naturellement, la tentation est forte de "montrer sa belle voix", et de jouer dans le registre bruyant à
défaut d'être fin. Piège gluant que celui-là! La musique d'Adolphe Adam est bien fichue, mais elle a une lenteur et une majesté intrinsèque qui rend difficiles les longues tenues sur des notes
aiguës, toujours sportives pour une basse. De plus, le côté "sortie de bistrot" déjà évoqué n'est jamais loin si l'on oublie la finesse. Que faire, alors?
Eh bien... prendre le contre-pied d'une tradition trop braillarde! J'ai choisi de la jouer intimiste, privilégiant l'articulation du texte (couplets 1 et 3), renonçant à toute martialité, à tout
style d'opéra, d'entente avec la directrice de la chorale. La société de chant opte également pour une reprise des refrains sotto voce des mieux venues. Ajoutez à cela un accompagnement d'orgue
discret et une exécution au moment de la communion et vous obtiendrez les ingrédients d'une interprétation tout sauf clinquante de cette oeuvre. Et puis, pour les cordes vocales, c'est tellement
plus reposant!
Photo: http://www.nimausensis.com/Gard/NoelAdam.jpg