Un retour en enfance pour les adultes désireux de pervertir joyeusement quelques mythes: voilà ce que
propose Pierre Dubois avec "Les Contes de Crimes", recueil de textes librement inspirés des récits, en particulier de Grimm mais aussi de Perrault, qui ont bercé l'enfance de tout un chacun. Le
titre laisse deviner la recette: des contes avec du sang, un chouïa de sexe, du scandale, des sous (quand même un peu), et même un peu de sport - donc les cinq S qui constituent les piliers de la
presse de boulevard.
Mais brisons là ces considérations, pour entrer dans le vif du sujet. L'auteur possède en effet l'art du gros mélange, ce qui éclate par exemple dans sa version de "Riquet à la Houppe": on y retrouve des ingrédients issus du conte d'origine, mais aussi un vaillant petit tailleur présenté en assassin de jeunes femmes, et un improbable chirurgien esthétique. Plus loin, on retrouve rien de moins que Roger Ackroyd, recyclé en détective, qui fait des apparitions périodiques avec son comparse, C. Marmaduke Perthwee; Jack l'Eventreur est même la vedette d'un des contes. Enfin, n'oublions pas quelques allusions plus ou moins fines à Sherlock Holmes...
L'auteur campe par ailleurs ses récits en Belgique, en France (un peu) et en Angleterre. On aurait certes attendu un peu plus d'Allemagne, vu la paternité revendiquée des frères Grimm. Mais qu'importe: ça fonctionne, et démontre l'universalité des trames narratives des contes.
Le fantastique fait également partie des ressorts de ces contes, ce qui est presque normal puisqu'un conte, généralement, se situe plutôt dans le merveilleux. Quelle différence? Dans le merveilleux, le surnaturel est admis comme une évidence alors que le fantastique préfère faire survenir le merveilleux dans un monde ordinaire, et laisser planer des doutes. C'est bien cette piste-là qu'emprunte Pierre Dubois, et elle se reflète dans les choix verbaux utilisés.
L'auteur joue en effet sur une vaste palette de vocabulaire, et adore les mots rares, qu'il sert à tour de bras. Parfois, il sert également des néologismes, ce qui fait qu'une zone grise se constitue rapidement, où le lecteur se demande si tel ou tel mot existe réellement. L'exercice est original, même s'il peut paraître pesant à la longue. La richesse de langage s'étend entre autres aux champs lexicaux de la nourriture, renvoyant l'image d'une Belgique gourmande, et à l'usage d'archaïsmes parfois un peu ronflants qui donnent à l'ensemble une patine de faux vieux souvent agréable, même si elle glisse parfois dans les clichés (par exemple "pâlichonne enfant" (p. 52), collocation utilisée par Arlette Cousture dans "Saynète à deux temps", texte de la Dictée des Amériques 1997).
Alors alors? Eh bien, pourquoi pas! C'est divertissant et ça dépote, grâce à un bon rythme
narratif et à quelques passages cocasses, voire délirants. Il semblerait que l'auteur ait produit d'autres recueils du même acabit, pour ceux que ça tente.
Pierre Dubois, Les Contes de Crimes, Paris, Hoëbeke, 2000.