Des nouvelles, vraiment? Signé du nom mystérieux de "Ron l'Infirmier", "La Chambre d'Albert Camus" paraît être, plutôt, un recueil de
chroniques qui sentent le vécu et le quotidien d'un jeune homme actif dans le domaine de la santé. Des chroniques recueillies tout au long d'une carrière, qui ont fait l'objet d'un blog avant
d'être réunies dans un fort bel ouvrage paru en 2006 aux éditions Privé/Roman.
Avant toute chose, on peut se demander ce qui distingue un tel témoignage d'un autre, ce qui le rend unique. Les éditeurs font en effet souvent la fine bouche face aux "tranches de vie" que les
auteurs leur envoient, surtout s'il s'agit de gens ordinaires - et quoi de plus ordinaire qu'un infirmier? Il ne fait aucun doute que "Ron l'Infirmier" a trouvé la recette. Et le lecteur, avec
lui, veut bien y croire. Pourquoi? "Ron l'Infirmier" narre ici ce que son métier lui a donné à voir de plus abracadabrant, de plus incroyable, dans l'horreur ordinaire et dans le bonheur sublime.
Et le lecteur sait bien, au fond de lui, que la vie a plus d'imagination que tous les écrivains réunis. Car tout cela sent le réel, malgré l'avertissement canonique en début de volume ("Toute
ressemblance avec...").
Un premier ingrédient frappant de ce recueil de choses vues est l'humour qui le traverse. Un humour à comprendre au sens de la volonté de rire "malgré tout". D'une part, certes, il y a des
situations rocambolesques, par exemple dans le texte "En soirée", qui feront sourire le lecteur. Mais il y a aussi cet esprit particulier, cet humour qui devient une arme face à un métier
difficile où, plus souvent qu'à son tour, on croise la détresse humaine, la mort, la maladie grave. Et dans ce recueil, on parle davantage d'Alzheimer et de cancers que de jambes cassées.
Le ton de ces choses vues se distingue par sa franchise, par le caractère direct qui peut être la marque de fabrique d'un blogueur. Un caractère direct qui peut prendre la forme d'une
extrême rapidité, comme dans "Rencontre du troisième type".
A travers les textes, c'est finalement le portrait de toute une société, avec ses petites grandeurs et ses faiblesses innombrables, que "Ron l'Infirmier" dépeint. Homme postulant pour un métier
traditionnellement féminin ("Entretien d'embauche"), le narrateur est par exemple victime de sexisme à l'envers, de la part d'un DRH aux idées particulièrement arrêtées. Et on ne compte plus
les cas de petites et grandes violences ordinaires faites aux pensionnaires de foyers pour personnages âgées, dont l'auteur témoigne.
Mais celui-ci sait aussi faire preuve de tendresse, envers Lucie (une fillette leucémique), François (un jeune homme atteint du sida), etc. L'emploi de "Ron l'Infirmier" exige, rappelle
régulièrement l'auteur, de ne pas s'impliquer. Vraiment? On sent au contraire un auteur plein d'empathie, de colère, d'amitié, etc. (mais de ressenti, toujours!) pour les patients qu'il
traite.
Le site de l'auteur: http://ron.infirmier.free.fr/
Ron l'Infirmier, La Chambre d'Albert Camus, Paris, Privé,
2006.