Donald Rumsfeld, vous connaissez? Un homme dont le nom de famille sonne comme un coup de tonnerre, et dont le prénom laisse imaginer
quelqu'un d'aussi colérique qu'un certain canard... Le journaliste et écrivain américain Andrew Cockburn lui a consacré un ouvrage extrêmement fouillé, portrait à charge accablant, que les
éditions Xenia ont publié dans une traduction française.
Dans quel domaine Rumsfeld s'est-il illustré? Son secteur d'activités le plus connu est sans doute la guerre d'Irak, précédée par de nombreux projets de réarmement organisés depuis la tête
du Pentagone. Bureaucrate éloigné des préoccupations du terrain, il fait montre, selon l'auteur, d'une incompétence notoire, faisant acheter du matériel à la fois onéreux et inopérationnel.
Mais ce n'est pas dans l'armement que Donald Rumsfeld fait, si j'ose dire, ses premières armes, mais dans un produit que vous consommez peut-être tous les jours: l'aspartame. L'homme s'est en
effet sucré avec cela, et Andrew Cockburn consacre tout un chapitre magistralement fouillé sur ce sujet. Donald Rumsfeld avait tout intérêt à pousser ce produit, dont les propriétés sont plus
qu'intéressantes pour le commerce: ça sucre 200 fois mieux que le sucre, donc les possibilités, comme disait l'autre, sont inouïes. Mais voilà: les enquêtes officielles laissent entendre que
l'entreprise productrice, Searle (dont la survie dépendait alors de la commercialisation de l'aspartame), a bâclé ses tests, faisant "ressusciter" des cobayes. Les essais officiels révèlent même
que le produit est cancérigène... A force d'intrigues, cependant, l'aspartame sera commercialisée, entre autres sous les noms de Nutrasweet et de E951.
L'auteur présente donc un Donald Rumsfeld actif à la fois dans la politique et dans le privé, et n'hésite pas à mettre en évidence les liens que le notable américain tisse entre ces deux mondes,
au risque de mélanger les genres - et l'aspartame n'en est qu'un exemple. Côté armements, Donald Rumsfeld est peint comme un personnage têtu, qui tient à ses idées même quand elles sont mauvaise,
qui n'écoute guère la base... et paraît, au final, antipathique. Seuls les attentats du 11 septembre lui permettent de tenir un peu plus longtemps, et de se faire remarquer sur la scène
internationale - à défaut d'avoir décroché la présidence des Etats-Unis, poste qu'il convoitait dans les années 1970 et dont il a dû faire son deuil. Dans ses errements, le "faucon" Donald
Rumsfeld croisera à deux ou trois reprises un certain John McCain - qui, plus pragmatique, ne sera jamais son allié.
Enquête à charge, donc, et - on en a l'impression - uniquement à charge? Peu d'éléments trouvent grâce aux yeux d'Andrew Cockburn, en effet - pour ne pas dire aucun. Sa force est cependant de
s'en tenir aux faits, des faits dont il a connaissance grâce à la presse, à des documents puisés aux sources de la communication militaire américaine, voire auprès de témoins: homme de bureaux
rigide qui aime à montrer qu'il est le chef, Donald Rumsfeld s'est fait peu d'amis au sein des militaires en uniforme, et l'auteur n'hésite pas à en écouter certains. Et le lecteur qui veut
s'aventurer dans cet ouvrage devra s'attendre à arpenter les couloirs du Pentagone, voire à suivre des discours parfois fort techniques, toujours très détaillés, entre plans foireux et chers et
intrigues de palais.
Andrew Cockburn, Caligula au Pentagone, Vevey, Xenia, 2006.