"Ecrivain de la rupture",
a-t-on dit de J. M. G. Le Clézio au moment où lui était décerné le Prix Nobel de littérature, il y a de cela quelques jours à peine. Rupture? Je ne l'ai guère perçue en lisant "Ourania", l'un de
ses derniers romans, paru en 2006. J'ai plutôt trouvé là un roman de solide facture, qui fonctionne bien et a le courage d'aborder de grands thèmes tels que la Terre et son destin, la protection
de l'environnement, les modes de vie alternatifs, le savoir humain le plus ancestral et sa transmission. Un courage revendiqué par peu d'auteurs aujourd'hui, trop souvent concentrés qu'ils
sont sur les petites choses du quotidien. Sur ce coup-ci, Le Clézio parvient, par instants, à se montrer exaltant.
L'intrigue est assez simple à résumer: le narrateur, Daniel Sillitoe, est pédologue - donc spécialiste des sols. S'affranchissant de sa mission, il choisit de s'arrêter à Campos, une communauté
de vie particulière et alternative dont les règles sont définies dans les dernières pages du livre, en annexe. Il assiste à son déclin.
Pédologue, donc, intéressé par la terre que nous avons sous nos pieds. A travers ses yeux, le lecteur découvre les sols du Mexique, riches, sur lesquels poussent les fraisiers les plus divers. Le
nom de la communauté de Campos renvoie également aux champs ou aux plaines, et c'est dans ce coin-là également que Daniel Sillitoe prononcera une conférence sur la terre - un moment d'écologie
exaltée qui n'est peut-être pas le plus fort de l'ouvrage, puisque l'auteur se contente ainsi de faire parler son personnage. "Ecologisme de boy-scout", aurait dit un critique; s'il ne s'agissait
que de ces pages précises, je ne le contredirais pas.
Mais l'auteur sait se montrer plus profond que le ton de certaines rengaines écologistes en rattachant la Terre au Ciel - comme cela doit être, comme deux êtres indissociables. Evocateur du
ciel, le titre du roman, "Ourania", annonce déjà la couleur. Et face à lui, Daniel Sillitoe va trouver Raphaël, jeune homme original et évanescent, qui a scarifié une constellation sur sa peau.
Vrai ou faux personnage? Daniel se le demande au terme du chapitre 2, où Raphaël disparaît brusquement à la sortie du car. A ce moment, le narrateur aura d'ores et déjà entendu une part
intrigante de l'histoire de Campos; le lecteur va se demander si tout cela existe. Raphaël l'interpelle du reste: "Inventé ou vrai, pour nous à campos, ça veut dire la même chose."
Et le ciel paraît bien pérenne face à Campos, communauté de la Terre, entreprise humaine, qui finit par péricliter, rongé par des querelles intestines. La communauté est en effet dirigée par un
encyclopédiste chargé de recueillir le savoir ancestral de la région. Sa manière de travailler, son manque supposé de résultats, sont contestés. La communauté tente de se transplanter ailleurs,
sur une île au large du Belize, en un lieu sans menaces. Mais la tentative sera vouée à l'échec, faute de moyens. Reste que Le Clézio introduit ici, de manière marginale, l'élément aquatique...
et ressort avec intelligence l'image immémoriale de l'île comme lieu isolé (justement!) où tout semble possible, loin des misères du continent. Là encore, le doute subsiste: "Je ne sais pas si
cette île existe", peut-on lire...
Et si c'était au fond de soi qu'elle se trouvait, cette île, ce pays rêvé et pérenne, voire au fond de son enfance? C'est alors que le premier chapitre du roman, mettant en scène le
narrateur enfant, prendrait tout son sens: on y voit le petit Daniel Sillitoe se créer un pays à son image. Son nom? Ourania. Et comme par hasard, il s'en souvient au moment d'écrire son
témoignage...
J. M. G. Le Clézio, Ourania, Paris, Gallimard, 2006/Folio, 2007.