S'il fallait citer un auteur prolifique en 2008, sans doute mentionnerais-je Olivier Mathieu, dit Robert Pioche. Avec « Le Pauvre Cœur », il fait paraître en effet son troisième volume pour l'année 2008, déjà marquée par la sortie des « Pommes Bleues » et du « Passage à niveau ». «Le Pauvre Cœur» a pu être publié grâce à la complicité des éditions des Petits Bonheurs, tenues par le sociologue nantais Jean-Pierre Fleury. Il met en scène Minnie Bibble, personnage si l'on veut secondaire dans l'œuvre de Francis Scott Fitzgerald (si l'on veut, parce que Minnie Bibble fut le premier amour de Fitzgerald), mais qui a ému son auteur. La preuve ? Olivier Mathieu le met en scène, face à son double littéraire, Robert Pioche.
« Le Passage à niveau » et « Le Pauvre Cœur » sont, en apparence, deux œuvres antinomiques de l'auteur. « Le Passage à niveau » constitue en effet l'un des opus du cycle des aventures de Robert Pioche, répondant à une promesse d'enfance. A ce titre, il laisse forcément une certaine part à la narration et au factuel. « Le Pauvre Cœur », bref texte éminemment poétique, semble quant à lui s'en distancer, et se rapprocher de l'ouvrage « Les Pommes Bleues », délibérément en marge du cycle. Mais tout cela est naturellement un peu plus compliqué que cela.
Certes, « Le Pauvre Cœur » est à mille lieues des ouvrages marquants du cycle des aventures de Robert Pioche, au rang desquels on nommera les derniers épisodes : « La Quarantaine » ou « Les drapeaux sont éteints », sans oublier « Une nuit d'été ». Ceux-ci ont certes une part non négligeable de poésie et de jeu de sonorités, qui sont la marque de fabrique de l'auteur ; mais dans les opus « Les Pommes Bleues », et plus encore dans « Le Pauvre Cœur », c'est bien la poésie qui prend le devant de la scène, alors qu'elle cède le terrain au narratif dans les épisodes du Cycle. « Le Pauvre Cœur », c'est cent pour cent de musique, à telle enseigne que l'histoire en devient secondaire, pour ne pas dire inutile : plutôt que de se demander ce qui se passe, le lecteur privilégiera la saveur de la musique des mots, une musique volontiers incantatoire jouant sur les rimes intérieures, les jeux de mots et les rapprochements inédits. Peut-être se surprendra-t-il à lire à haute voix...
Reste cependant la présence du personnage de Robert Pioche, double littéraire d'Olivier Mathieu comme on le sait, que ce dernier présente en quelque sorte à Minnie Bibble, personnage récurrent des nouvelles Francis Scott Fitzgerald. Robert Pioche endosse quant à lui, dans ce récit, le rôle du double d'Errol Flynn. Jusqu'où, donc, le songe peut-il aller ? Certes en marge du cycle proprement dit, « Le Pauvre Cœur » s'y intègre en fait pleinement, du fait de ses personnages - et aussi des thèmes qu'ils représentent.
Errol Flynn, Francis Scott Fitzgerald et Robert Pioche, en effet, ont un point commun du point de vue d'Olivier Mathieu : celui d'être des ratés magnifiques, à l'instar de Lepaige d'Orsenne, ancêtre «mythique» d'Olivier Mathieu, qui a combattu dans le camp du « Dernier Carré » des vaincus à Waterloo, auxquels l'auteur voue une sympathie toute particulière. Le lecteur intéressé se référera avec profit, du reste, à l'essai/préface « Réflexion sur les ratés » qu'Olivier Mathieu a rédigé pour un recueil (à paraître) de poésies d'Emile Boissier. Du fait du jeu entre Olivier Mathieu et Robert Pioche, son alter ego littéraire, l'auteur se hisse au rang des grands ratés de l'histoire ; et du fait de sa simple présence dans «Le Pauvre Cœur», le personnage Robert Pioche rattache cette « féerie littéraire » au cycle de ses aventures, à la manière d'un épisode onirique intercalaire entre deux volumes en prise avec le réel.
Olivier Mathieu, Le Pauvre Cœur, Nantes, Les Petits Bonheurs (éditeur: Jean-Pierre Fleury), 2008, 24 p. Photos artistiques de l'auteur.