Avant tout, qu'on soit averti: le roman "Le dernier jour de l'espion Reiss" n'a rien d'un thriller, au contraire.
Ecrit dans sa langue maternelle par l'écrivain allemand (mais installé en Suisse) Eberhard Raetz, cet ouvrage relate la dernière journée d'existence d'un espion soviétique juif nommé Ignace
Reiss. De la blague? Que nenni: l'écrivain a utilisé pour son récit un fait divers réel, survenu à Lausanne en 1937, et l'a transposé dans la fiction. La version française publiée en avril 2008
par les éditions de L'Aire présente quelques faiblesses (noms de lieux restés en allemand, transcription "à l'allemande" des patronymes, participes passés accordés de manière aléatoire),
mais permet de donner une excellente idée du roman d'origine.
Quelles en sont les qualités, en effet? Avant tout, et puisque c'est du sérieux, l'auteur s'appuie sur une documentation qu'on devine soignée - et colmate les trous avec sa propre imagination.
Celui qui connaît Lausanne, par exemple, reconnaîtra sans peine les environs de la Place Saint-François, où se passe une bonne part d'une action décrite heure par heure, comme au microscope. On y
reconnaît l'Hôtel de la Paix, dont l'auteur recrée l'ambiance "rastaquouère" de l'époque, mais aussi la confiserie "Chez Nyffenegger", qui existe encore aujourd'hui, ou la gare elle-même.
L'auteur écrit par ailleurs également quelques très belles pages sur le Valais. Son personnage s'est réfugié à Finhaut, en effet, et s'intéresse aux montagnes qui l'entourent et aux personnages
qu'il côtoie. Il y a là quelques rencontres, quelques coups de main - les personnages de Finhaut sont peints comme des montagnards à l'esprit pratique, chasseurs; quelque part, ils rappellent les
héros d'un certain Charles-Ferdinand Ramuz.
Et les âmes, alors? Elles ne sont pas en reste, Ignace Reiss en tête. Le bonhomme finit par devenir familier au lecteur. Il s'agit d'un espion soviétique qui souhaite sortir de ce système,
écoeuré, mais finira par se retrouver face à ses vieux démons - plus précisément face à l'informatrice Schildbach, odieuse, collante, dévouée au régime, qui le fera tomber. Au gré des pages,
Ignace Reiss repense aux horreurs qu'il a connues dans le cadre de son service au régime stalinien: arrestations arbitraires, climat de suspicion, paranoïa au quotidien, etc. L'homme a en outre
une femme et un enfant, auxquels il pensera pour ainsi dire jusqu'à son dernier instant. Autant dire, et c'est la force de ce récit, que l'on a un portrait en trois dimensions d'un personnage
d'espion fort intéressant.
Tout cela constitue donc un roman qui n'a rien d'un thriller (si ce n'est un mort), qui privilégie une certaine introspection... le tout, sans oublier la figure tutélaire de Marina Tsvetaeva.
Eberhard Raetz, Le dernier jour de l'espion Reiss, Vevey, L'Aire, 2008. Traduction par Laurent Schlittler, illustrations Gilles Emmanuel Fiaux.