On fête aujourd'hui l'anniversaire de Francis Scott Fitzgerald - cela fait cent
douze ans que cet écrivain américain a vu le jour. Et, heureuse coïncidence, mes lectures m'ont amené, cette semaine, à le côtoyer un peu plus que de coutume. Après "Alabama Song" de Gilles
Leroy, en effet, je me suis plongé dans le petit recueil "Une vie parfaite", publié dans la collection Folio à deux euros (soit quatre francs: l'euro est particulièrement cher dans les librairies
suisses romandes).
Et c'est justement de cette nouvelle que j'aimerais vous parler ce soir - l'occasion est trop belle! Rappelons-en brièvement l'intrigue: héros d'un match de football
américain, l'adolescent Basil Lee se voit sensibilisé à son rôle d'exemple moral. Il se prive donc de certains plaisirs de la vie (alcool, fumée, flirt) afin de mener une vie parfaite, et incite
les autres à en faire autant. Cela n'a pas l'heur de plaire à tout le monde.
La nouvelle a quelques côtés autobiographiques puisque, comme Scott Fitzgerald, Basil Lee est un jeune homme de modeste origine qui étudie à Princeton. A partir de là, l'auteur parvient à donner
un sens à une réalité, en écrivant une belle fable sur la difficulté d'être soi. Difficulté pour Basil, certes, qui se constitue un masque de père la pudeur, mais aussi pour le personnage de
Jobena qui, dépitée, n'ose pas avouer à Basil Lee, qui ne la laisse pas insensible, qu'elle est déçue par son comportement vertueux. Difficulté également pour George Dorsey, qui l'invite pour
Thanksgiving... presque à contrecoeur, sans oser décommander Basil Lee.
Difficulté d'être soi, donc. Mais aussi et surtout difficulté de se fabriquer un personnage et de l'assumer. Pour rendre l'exemple frappant, l'auteur choisit l'option la plus perfectionniste, la
plus archétypale; mais la construction d'un soi rêvé est, peu ou prou, l'apanage de beaucoup de monde. Le masque de Basil Lee va toutefois évoluer, voire s'effriter, en trois temps, soit deux
plus un. Le premier est naturellement constitué par la période précédant l'invitation de Thanksgiving, où Basil approche tout le monde pour émettre des remarques de comportement, auréolé
qu'il se croit de son statut d'exemple. Le deuxième est constitué par la période passée chez les Dorsey, marquée par la rencontre avec Jobena. Il ne fait aucun doute que Basil est attiré par
cette fille; mais, tenu par sa volonté d'être parfait, il oppose une fin de non-recevoir à toutes les approches de Jobena, y compris dans les circonstances les plus propices. A ce titre, la
discussion entre Basil et Jobena, dans la pénombre d'un cab, est un exemple magistral de dialogue de sourds - de ceux de la pire espèce: ceux qui ne veulent pas entendre.
Ces deux étapes restent caractérisées par des approches verbales privilégiant la raison. Il faut que Basil découvre que Jobena veut partir avec un "débauché" du nom de Skiddy De Vinci pour qu'il
se décide à agir - à conclure avec Jobena afin de lui éviter, justement, une fugue aventureuse avec De Vinci. Basil bascule alors du côté obscur, passionné de l'action en n'hésitant pas
à faire boire son rival afin de le détourner de ses plans, trinquant même avec lui au besoin et, ce faisant, se distançant des principes qu'il prône. L'action porte ses fruits... C'est alors que
Basil tombe le masque, condition essentielle à une relation amoureuse saine, comme celle qui naît entre Jobena et Basil, qui promet à sa bien-aimée de ne plus boire d'alcool... avant l'âge
plancher légal de 21 ans.