Il paraît que 95% des Bernois sont satisfaits de vivre dans leur ville, et que cela ne date pas
d'hier... Tout d'abord, la source de l'information: je l'ai glanée pas plus tard que ce soir, en attendant le train qui doit me ramener de Berne à Fribourg, dans le hall de la gare de la capitale
helvétique, où des écrans diffusent de telles nouvelles. Celle-ci m'a laissé un chouïa perplexe.
J'ai en effet vécu environ quatre ans à Berne. Et après deux ans passés à Fribourg, mon constat est toujours le même: Berne, c'est une chouette ville... mais si mal habitée! Pas de racisme
anti-suisse alémanique là-dedans: simplement, je ne suis pas parvenu à me créer, dans cette cité, un réseau d'amitiés digne de ce nom, alors que j'y étais parvenu à Berlin, ainsi qu'à Fribourg,
naturellement, au temps de mes études - cela, sans parler de Bulle, où j'ai fait mes écoles. Le dialecte alémanique serait-il une paroi de verre placée devant les allophones? Je le crois
sincèrement, et cela vaut pour toute la Suisse alémanique (celle qui n'a pas le Léman, donc a-lémanique, pour reprendre l'image d'Yves Laplace).
Autant dire que si l'on m'avait sondé, je ferais partie des 5% de mécontents. De quoi? D'entendre parler le dialecte alémanique, la chose est dite. Mais aussi de payer plus cher certains produits
et services simplement parce que "Berne, c'est la Kapitale!" et que les fonctionnaires, c'est bien connu, gagnent bien leur vie. De savoir que pour entrer dans une chorale qui a un tantinet
d'ambition, il me faudra débourser une cotisation importante. De savoir qu'au bout de presque un lustre, je n'ai guère de réseau d'amis sur place. De noter avec tristesse que la ville est déjà
trop grande pour que ses habitants puissent bénéficier d'une relation véritablement personnelle avec leurs autorités - je ne vois pas, par exemple, quelle tête peut bien avoir le maire de
Berne, le "Stapi" (diminutif de "Stadtpräsident"), comme on le surnomme affectueusement.
Cela, sans oublier, naturellement, l'aspect "souris grise" qui colle à la capitale helvétique, repaire de centaines de fonctionnaires. Du temps où les fonctionnaires fédéraux étaient obligés d'y
vivre, une culture francophone s'y était développée. Puis cette obligation est tombée, à la grande joie des fonctionnaires, mais du coup, la cité est retombée aux mains des Alémaniques. La
librairie française a dû fermer ses portes faute de clients, et le théâtre francophone cherche en vain de nouveaux spectateurs, de préférence jeunes. Que serais-je allé y faire? Ai-je une
mentalité de fonctionnaire, vraiment?
... je me trouve donc bien,
mieux même, à Fribourg - cette ville peinte par Jacques Chessex dans l'un ou l'autre de ses romans. Le centre historique de Fribourg n'est certes pas inscrit au patrimoine mondial de
l'UNESCO, mais il vaut également le détour, ne serait-ce que par son étendue (il s'agit, sauf erreur, du plus grand ensemble bâti cohérent de Suisse). Forte d'un peu moins de 40 000 habitants,
Fribourg conserve des dimensions humaines - il m'arrive même de saluer, dans le train, l'ancien syndic, Dominique de Buman, désormais conseiller national - et de discuter avec lui. Et chanter
dans une chorale d'exception n'y coûte rien, si ce n'est un investissement personnel qui paraîtra naturel à tout passionné. Moins de bistrots? Peut-être, mais tellement plus vivants! Certes, le
Gothard n'est plus ce qu'il était; mais il reste le Cintra pour boire des verres, le Midi pour manger des fondues (c'est même mieux qu'avant!), la Cigogne pour un bon repas, et mille pizzerias
abordables pour les soirs de nostalgie du sud. Cela, sans oublier la dimension culturelle qui, débarrassée en partie de son carcan institutionnel, s'épanouit librement face à un public
d'intéressés. Chouette, non?
Alors, que valent les sondages sur la satisfaction d'habiter dans une ville? Tout relatif, à mon humble avis...
Berne: http://www.bern.ch
Fribourg: http://www.fribourg.ch
Pour une bonne chorale à Fribourg: http://www.xvi.ch
Photos: Flickr/usbdevice, photoriel