C'est l'histoire de Marc Bonnet... non.
C'est l'histoire d'Alban Moulin... non plus.
C'est l'histoire des deux.
Avec "Le Monologue de la chaise vide", l'écrivain stéphanois Antoine Geraci signe sans doute l'un de ses romans les plus forts, tant au point de vue du travail littéraire que de l'impact qu'il
peut avoir sur le lecteur. L'histoire tient en peu de lignes: un brillant physicien subit un traitement psychiatrique à la suite d'un accident de voiture ayant coûté la mort d'une de ses
connaissances. Le récit suit l'évolution des pensées du patient, en un monologue où le cri côtoie le murmure.
Le lecteur est donc parachuté dans l'univers mental du personnage, mais aussi de son double, puisque le narrateur semble avoir acquis la personnalité d'un autre, d'un criminel. Celui-ci se lance
dès le début par une confession de sa vie, commençant par la chose la plus évidente qui soit: "Je suis né!" Une naissance qu'il ne manquera pas de rappeler... le ressassement va
ensuite prendre la forme d'une série d'objets et personnages récurrents, que l'on peut voir sur les cases noires du damier qui occupe la première page de couverture du livre: un chat,
un sapin, une maison en feu, des femmes agressées. Tout cela se répète en un cortège délirant: sans cesse, le narrateur ressasse le même scénario avec les femmes qu'il assassine, et à chaque
fois, le sang coule.
Et peu à peu, apparaît un deuxième personnage. Difficile de dire d'emblée qu'il occupe le même cerveau: le narrateur le présente comme un élément étranger nommé Alban Moulin, auquel il
fera d'abord lâcher prise en lui plantant une fourchette dans la main. Le lecteur se dit peut-être, à un moment donné, que le patient est soigné dans de bien piètres conditions; peut-être
s'est-il attaché à Marc, personnage unique, psychopathe fini, qui est finalement sur la voie de la guérison, au gré des questions que lui posent "les Blancs", c'est-à-dire les psychiatres.
L'auteur sait dévoiler ses cartes avec lenteur...
Et peu à peu, Alban Moulin prend forme. L'un des éléments caractéristiques de cette évolution est l'apparition, dans le texte, de paragraphes tirés de livres de physique - celle-ci occupant, sur
la page de couverture, les cases blanches du damier. S'appuyant littéralement sur la "chaise vide" du titre, s'adressant à elle, Alban Moulin reprend peu à peu le dessus; lorsqu'on lui demande
son identité, en particulier, elle lui vient de manière de plus en plus naturelle, et surtout de plus en plus longue, avant que Marc Bonnet ne reprenne le dessus et n'embrouille les cartes. A
coups de points de suspension ou d'exclamation, l'auteur dépeint cette bataille de deux âmes pour la domination d'un esprit avec un brio certain.
Enfin, il faut bien une fin cyclique à un tel ouvrage, puisque parfois, les esprits tournent en rond à défaut de tourner rond - c'est du reste le cas avec les ressassements narrés au
fil de cette soixantaine de pages.
A noter que "Le Monologue de la chaise vide" a été adapté au théâtre (photo tirée du spectacle), avec Alain Besset dans le rôle principal.
Antoine Geraci, Le Monologue de la chaise vide, Groslay, Ivoire-Clair, 2004.