2 septembre 2008
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Ce n'est cependant pas le cas de "La peau fantôme", exercice littéraire d'une grosse centaine de pages qui invite le lecteur à découvrir l'épiderme dans tous ses états, au fil de huit chapitres aux formes diverses, qui ont en commun de ressembler à des instantanés de la vie d'un homme qui cherche à se reconstruire après le décès de son ami.
Homme, d'ailleurs? L'auteur jette le doute d'emblée, dans le chapitre I "Une peau d'Orphée" - et c'est là que réside le caractère subversif de l'ouvrage. La question posée est en effet: "De quel sexe êtes-vous?" Un effet appuyé par les (e) qui signalent l'accord féminin, comme si le personnage à qui s'adresse le narrateur peut être des deux sexes. Ce qui est le cas. Il en résulte une sensation étrange, qui sera forcément très diverse en fonction du lecteur ou de la lectrice puisque le chapitre I retrace une scène de sodomie. Face au lecteur, on trouve un personnage qui est un homme, forcément - élément actif de l'acte - mais auquel le narrateur affuble le pronom "elle". Tout cela, dans le contexte de la nuit, auquel l'auteur confère le pouvoir de l'inversion; il laisse ce royaume à la Lune, principe féminin.
Tout cela glisse avec adresse d'une image à l'autre, de façon presque ludique. Le chapitre II relate, en sept sous-chapitres, les sept séances de psychanalyse auxquelles le narrateur participe. Soudain, on passe du "vous", adressé au lecteur, au "je", synonyme d'introspection - introspection qui est, par définition, l'essence de toute analyse - celle-ci visant "à mettre jour à mes fins", comme le dit le narrateur. La relation patient/psy est, quelque part, artificielle; ici, elle se nimbe de désir, de la part de celui qui cherche à faire son deuil - un deuil auquel il consacre sept ans.
Le narrateur retrouve également celle à laquelle il a fait un enfant, et qui souhaite que celui-ci n'ait jamais de poils; elle le fera épiler, en un chapitre à chute bien envoyé. Il songe également aux tatouages, une manière d'avoir quelqu'un ou quelque chose "dans la peau", littéralement, en ce lieu sacré, entre deux couches dermiques, où l'encre du tatouage va se poser - non sans douleur, tant il est vrai que tout accès sacré revêt un côté d'épreuve.
Enfin, dans le genre "Je est un autre", le chapitre VI "L'adieu à Gattaca" constitue un bel exercice de brouillage de cartes, où l'auteur s'amuse à tromper le lecteur: celui-ci a-t-il face à lui un "Marc" qui est Marc Vilrouge, ou un homonyme, un masque? En une poignée d'actes, la fiction et l'autofiction se retrouvent brouillés, à la fois pareils et différents. Qui récupère les cuticules entre les touches du clavier d'ordinateur de Gattaca afin qu'on ne reconnaisse pas sa vraie nature? Conçu en subtils glissements, l'exercice est réussi.
"La Peau fantôme" est donc un petit roman atypique et marquant, qui permettra à son lecteur de découvrir tout ce que son épiderme a à lui raconter, en prenant l'exemple d'un "je" qui est un autre et qui vit, à travers sa peau, le deuil d'un ami. Le tout, placé sous la figure tutélaire de Marguerite Duras et de son monologue "La Maladie de la mort".
Marc Vilrouge, La Peau fantôme, Le Dilettante, 2007.
Photo: http://www.necropole1.com