"Martyre" au sens étymologique de "témoignage", bien sûr! En 2003, l'écrivain genevois Michaël Perruchoud donnait vie, autour d'une table de bistrot, au personnage de
Kevin Ier, pape super-djeun et super-cool, censé relancer cette machinerie poussive et vieillissante qu'on appelle l'église catholique. Ni une ni deux, de la table de bistrot, le personnage est
passé à la table de travail de l'auteur. Il en est résulté un bref, trop bref roman, intitulé "Le martyre du pape Kevin", publié conjointement par les éditions Faim de siècle et Cousu Mouche (ou
le contraire, puisque Michaël Perruchoud est responsable des secondes).
Trop bref? Je le répète, tant on aurait aimé connaître davantage de péripéties de la papauté de ce jeune gaillard de 32 ans, Latino originaire des Etats-Unis, qui pratique le surf et le rap.
Rappelons rapidement l'action: quelques caciques de l'église catholique s'inquiètent de l'avenir de leur maison, et décident de faire appel à des consultants pour savoir ce qu'il faut faire pour
continuer. "Ostap Bender Consulting" (les lecteurs d'Ilf et Petrof comprendront l'arnaque à venir), entreprise retenue, dit qu'il faut rajeunir le pape lui-même. A partir de là, les péripéties
peuvent commencer...
Elles ne manqueront pas, et deux d'entre elles au moins renvoient à des événements historiques qui nous ont bien fait rigoler ou pleurer ces dernières années. Le premier, à savoir la découverte
de traces de sperme sur le slip vert pomme du pape, nous renvoie immédiatement aux heures glorieuses de l'affaire Lewinski, qui fit le tour du monde en partant des Etats-Unis. La seconde, à
savoir les funérailles éperdues de l'homme, empruntent plus d'une image au décès de Lady Diana Spencer. Quand on lit, impossible de ne pas faire le lien quand on voit des fidèles en larmes
déposer des fleurs, ou quand on lit qu'un chanteur anglais fameux recycle un de ses vieux tubes.
Mais l'auteur ne s'arrête pas à l'actualité. Son ton est certes souvent assez neutre (on l'a connu plus charnu, par exemple dans "Crécelle et ses brigands"), mais il est volontiers rehaussé de
quelques piques et traits d'esprit qui en paraissent d'autant plus savoureux. Il n'est qu'à penser à cette dénonciation de la xyloglossie endémique de certains consultants qu'est le dialogue
ci-dessous:
"- Qu'entendez-vous par physique avantageux fédérateur?
- Notre nouveau pape doit plaire aux femmes."
Et plaire aux femmes, c'est ce qu'il fera de mieux. Reste que sa fin touche au grand-guignol médiéval, puisqu'il mourra la tête pourfendue à coups de hache, du fait d'un prêtre de la campagne
britannique, l'esprit proche de la terre et la tête près du bonnet. Ainsi se rapprochent les éléments les plus primaires et le monde prétendument raffiné de la communication, un monde qui a
l'oeil davantage rivé sur les sondages que sur l'humanité. Un monde qui a fait du pape un produit... un produit qui pose problème et dont on peut imaginer qu'on cherche à se débarrasser dès qu'il
devient encombrant (et là, pas besoin de lourdes raisons pour tirer sur la gâchette). D'où, naturellement, la théorie du complot quant à la mort de Kevin Ier... Même cela ne lui sera pas épargné.
Quant à sa succession, elle sera réglée par une "Pope Star" qui n'a rien à envier à certaines émissions actuelles dont le nom commence justement par "Star".
Le catholique le plus pointilleux et le plus curieux trouvera donc certes quelques détails à corriger dans ce petit roman; mais au fond, qu'importe? Pour peu que l'on admette que Dieu a de
l'humour, l'histoire passera très bien et permettra de réfléchir. Sans compter que la hiérarchie catholique n'est de loin pas la seule à en prendre pour son grade, oh que non...
Le site de l'éditeur: http://www.cousu-mouche.com
Le site de l'autre éditeur: http://www.lecture.ch
Michaël Perruchoud, Le martyre du pape
Kévin, Genève/Fribourg, Cousu Mouche/Faim de siècle, 2003.