En refermant le livre "L'Obéissance" de François Sureau, brève oeuvre de fiction fondée sur des faits réels, on a presque envie de tirer
un parallèle entre celui-ci et le film "Il faut sauver le soldat Ryan" de Steven Spielberg. On en changerait simplement le titre pour en faire "Il faut tuer le soldat belge Préfaille", et le tour
serait joué. Comment ça? Le propos est un peu le même: une mission qui exige un déplacement, apparemment disproportionnée, et controversée qui plus est.
Voici donc toute l'histoire de "L'Obéissance": alors que la victoire des Allemands semble acquise, en 1917/18, les Belges font appel aux Français pour exécuter un condamné. Dès lors, il s'agit de
transporter un bourreau, son équipe et les "bois de justice" de France en Belgique occupée par les Allemands, à Furnes pour être précis. Pour servir son propos, l'auteur n'hésite pas à tirer des
placards de l'histoire Anatole Deibler, bourreau de Paris, ayant véritablement existé et officié.
Non proportionnée, l'action? L'histoire du soldat Ryan est connue: on détache plein de soldats pour aller récupérer un seul type, perdu en France, avant qu'il ne soit le dernier mort de sa
famille. Ici, on détache plein de monde pour aller exécuter une personne relevant du droit militaire... alors qu'apparemment, la Belgique n'est pas en mesure de le faire elle-même (ni bourreau,
ni matériel approprié). Cela implique des arrangements avec l'occupant afin d'assurer le libre passage du convoi à travers des zones parfois dangereuses, alors même que la Belgique, à cette
époque-là, n'a plus exécuté ses peines capitales depuis plus de 50 ans.
Et puisqu'on est dans l'analyse juridique, pourquoi faire "un exemple" avec le personnage de Préfaille? On a une impression d'arbitraire qui entache les décisions de grâce du souverain,
individuelles mais reposant (ou censées reposer) sur une base légale. L'auteur serait-il un républicain désireux de montrer tout l'arbitraire d'un système monarchique? Le citoyen devrait
dans tous les cas être protégé contre l'arbitraire, mais c'est une autre histoire...
L'auteur, lui, est astucieux: il offre plusieurs voix à son récit, donne à tour de rôle la parole à chacun de ses personnages, qui s'exprime à sa manière, par oral ou par écrit. On
découvre donc la personnalité d'Anatole Deibler, réticent à exécuter une mission en Belgique (on l'apprend dans ses carnets d'exécution, du reste véridiques), et sa femme Rosalie (le nom d'une
baïonnette, tiens!), qui le pousse à y aller - quitte à accepter un jambon des officiers qui, sur ordre du Garde des Sceaux, cherchent à gagner Deibler à leur cause. Les personnages qu'on
découvre ici sont des officiers de carrière, l'équipe d'Anatole Deibler, quelques sans-grade. Le tout est porté par un style fort classique, mais qu'enrichissent plusieurs archaïsmes qui emmènent
le lecteur dans l'époque voulue au moins aussi sûrement que le propos lui-même.
Alors, que s'est-il passé à Furnes? A vous de voir!
François Sureau, L'Obéissance, Paris, Gallimard, 2006.
Gérard A. Jaeger, Anatole Deibler, l'homme qui trancha quatre cents têtes, éditions du Félin, 2001.