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18 août 2008 1 18 /08 /août /2008 19:41

En refermant le livre "L'Obéissance" de François Sureau, brève oeuvre de fiction fondée sur des faits réels, on a presque envie de tirer un parallèle entre celui-ci et le film "Il faut sauver le soldat Ryan" de Steven Spielberg. On en changerait simplement le titre pour en faire "Il faut tuer le soldat belge Préfaille", et le tour serait joué. Comment ça? Le propos est un peu le même: une mission qui exige un déplacement, apparemment disproportionnée, et controversée qui plus est.

Voici donc toute l'histoire de "L'Obéissance": alors que la victoire des Allemands semble acquise, en 1917/18, les Belges font appel aux Français pour exécuter un condamné. Dès lors, il s'agit de transporter un bourreau, son équipe et les "bois de justice" de France en Belgique occupée par les Allemands, à Furnes pour être précis. Pour servir son propos, l'auteur n'hésite pas à tirer des placards de l'histoire Anatole Deibler, bourreau de Paris, ayant véritablement existé et officié.

Non proportionnée, l'action? L'histoire du soldat Ryan est connue: on détache plein de soldats pour aller récupérer un seul type, perdu en France, avant qu'il ne soit le dernier mort de sa famille. Ici, on détache plein de monde pour aller exécuter une personne relevant du droit militaire... alors qu'apparemment, la Belgique n'est pas en mesure de le faire elle-même (ni bourreau, ni matériel approprié). Cela implique des arrangements avec l'occupant afin d'assurer le libre passage du convoi à travers des zones parfois dangereuses, alors même que la Belgique, à cette époque-là, n'a plus exécuté ses peines capitales depuis plus de 50 ans.

Et puisqu'on est dans l'analyse juridique, pourquoi faire "un exemple" avec le personnage de Préfaille? On a une impression d'arbitraire qui entache les décisions de grâce du souverain, individuelles mais reposant (ou censées reposer) sur une base légale. L'auteur serait-il un républicain désireux de montrer tout l'arbitraire d'un système monarchique? Le citoyen devrait dans tous les cas être protégé contre l'arbitraire, mais c'est une autre histoire...

L'auteur, lui, est astucieux: il offre plusieurs voix à son récit, donne à tour de rôle la parole à chacun de ses personnages, qui s'exprime à sa manière, par oral ou par écrit. On découvre donc la personnalité d'Anatole Deibler, réticent à exécuter une mission en Belgique (on l'apprend dans ses carnets d'exécution, du reste véridiques), et sa femme Rosalie (le nom d'une baïonnette, tiens!), qui le pousse à y aller - quitte à accepter un jambon des officiers qui, sur ordre du Garde des Sceaux, cherchent à gagner Deibler à leur cause. Les personnages qu'on découvre ici sont des officiers de carrière, l'équipe d'Anatole Deibler, quelques sans-grade. Le tout est porté par un style fort classique, mais qu'enrichissent plusieurs archaïsmes qui emmènent le lecteur dans l'époque voulue au moins aussi sûrement que le propos lui-même.

Alors, que s'est-il passé à Furnes? A vous de voir!

François Sureau, L'Obéissance, Paris, Gallimard, 2006.
Gérard A. Jaeger, Anatole Deibler, l'homme qui trancha quatre cents têtes, éditions du Félin, 2001.

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commentaires

J
Le film "Le voyage de la Veuve" quui relate la même histoire est projeté ce soir sur France 2. Je suis curieux de voir comment les cinéastes français vont la raconter. Sureau avait trafiqué la réalité historique pour que la guillotine traverse la ligne de front, plaçant Furnes en zone allemande, ce qui n'a jamais été le cas, cette ville étant restée du côté des Alliés. Le livre de Sureau a reçu le prix du roman historique en 2007, ce qui est un comble. Tout dans ce livre est inventé, sauf le voyage de Deibler et de sa Guillotine qui a fonctionné dans la cour intérieure de la prison de Furnes. Si la vérité vous intéresse, faites un tour dans les archives de mon blog. Vous apprendrez également pourquoi le roi Albert a refusé sa grâce au meurtier.
D
<br /> Ouille! Je vais aller voir votre site. Merci de votre visite et de vos précisions.<br /> <br /> <br />
E
J'arrive ici un peu par hasard et il y a plein de choses intéressantes. J'ai lu ce livre l'été dernier et c'est vrai que c'est une histoire assez étonnante, qui pourrait faire un bon film justment !
D
<br /> ... merci de votre passage et du compliment! J'ai glissé un lien vers votre blog, que je m'en vais explorer sans tarder.<br /> <br /> L'histoire du bourreau est effectivement intrigante et étonnante - et bien ficelée, qui plus est. Dans les références, j'ai cité Gérard A. Jaeger, qui s'est beaucoup intéressé à la criminalité à<br /> cette époque (il a également écrit un livre sur Landru). A voir?<br /> <br /> Reste que l'ouvrage de M. Sureau n'a pas connu un énorme écho dans la blogosphère, ce qui est regrettable...<br /> <br /> <br />
A
Je ne suis pas sûre de le lire celui-là mais j'ai adoré ta présentation de ce livre! :)
D
<br /> Il vaut l'os, à sa manière... merci du compliment! <br /> <br /> <br />

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