Il paraît que le monde littérairess actuel sécrète des auteurs incontournables. Il paraît aussi qu'Anna Gavalda est désormais de
ceux-là. Qu'en dire? Je viens de terminer "Ensemble, c'est tout" et, sans pouvoir franchement détester, je reste un peu perplexe, comme face à une mayonnaise qui, en dépit d'ingrédients de
première qualité, peine à prendre.
Avant tout, petit rappel de ma relation avec Anna Gavalda, si j'ose ainsi m'exprimer: j'avais bien aimé son recueil de nouvelles "J'aimerais que quelqu'un m'attende quelque part", fort agréables,
bien tournées, et tout et tout. Et l'été dernier, je suis allé voir le film "Ensemble, c'est tout", qui m'a paru vraiment sympa - ça donne envie de lire le livre, de retrouver les frondaisons et
la bonne chère. On imagine l'auteur en train de s'amuser à faire évoluer ses personnages, à mettre des chicanes dans leur parcours afin qu'enfin, ils se retrouvent. Ludique, quoi.
Et il y a quelques mois, j'ai trouvé le livre, dans une édition cartonnée et revêtue de vert - un joli livre, au prix d'un poche. Embarqué... La lecture tient pas mal de ses promesses, il faut le
dire. C'est un ouvrage efficace, un peu à la manière américaine: plein de dialogues, et surtout des chapitres courts qui permettent au lecteur de se reposer au fil des 574 pages du récit. Cela,
sans compter les petites interruptions dans le récit, signalées par des blancs. Le style est fluide, tout devrait marcher comme sur des roulettes...
... et pourtant, il manque quelque chose, un peu d'épaisseur ou de profondeur peut-être - non, ne me flinguez pas! Les dialogues sont nombreux, je l'ai dit - un peu trop peut-être, au risque de
l'abus. Bien torchés, cela dit, les dialogues: chaque personnage a vraiment sa voix: vulgaire et primaire pour Franck (combien de fois dit-il "faire" en page 340, d'ailleurs? Là, j'ai trouvé
faible - ailleurs, ça marche mieux), tentée par le raffinement pour Philibert, teintée d'accent pour Mamadou... J'ai davantage pu me faire une idée de chacun, dans ce quatuor déglingué, d'après
le film, qui a donné beaucoup de chair à l'histoire, naturellement. Ou peut-être n'ai-je pas apprécié le fait que cette épaisseur vienne petit à petit, alors qu'on la ressent d'emblée dans des
ouvrages tels que "Autant en emporte le vent" - trois fois plus gros, certes - ou, dans un autre registre, "La Piqûre" de Marie-Christine Buffat.
Il y a aussi autre chose: le style m'a certes paru fluide et rapide, le genre qui vous accroche; mais l'utilisation régulière de termes qui veulent faire "jeune" ou "grossier" au détour d'une
phrase m'a paru sonner faux. Drôle d'ideé aussi, pour l'auteur, d'intervenir parfois dans son récit - au chapitre 1 de la quatrième partie, par exemple. Et cette manière de souligner lourdement
les gags par des points de suspension, puis de redire en prose ce que l'auteur fait déjà passer dans les dialogues... Enfin, il y a aussi cet aspect "Amélie Poulain" qui émane de Camille - je ne
le dis pas parce que c'est Audrey Tautou qui tient le rôle de Camille au cinéma, mais bien parce qu'on a l'impression qu'elle veut faire le bien autour d'elle. Un rapprochement qu'on pourrait
être tenté de considérer comme voulu: le DVD d'Amélie Poulain fait partie des accessoires du roman, même si on ignore s'il n'y a pas un film de cul dans la pochette...
Amélie Poulain, c'est aussi le goût des petites choses - encore un point commun avec "Ensemble, c'est tout", où chacun se contente souvent de choses simples: être ensemble, boire un verre de vin,
partager une cigarette, visiter une grand-mère, travailler même. Depuis Francis Ponge (donc Jean Grosjean, superbe poète) et surtout depuis "La première gorgée de bière" de Philippe Delerm
(que je n'ai pas lu, à ma grande honte!), il me semble que c'est devenu une lame de fond. Mais à quand le roman d'une grande cause? Anna Gavalda met en scène des anti-héros consommés et fiers de
l'être, si j'ose ainsi dire.
Une drôle de cuisine, donc! Un peu comme celle de La Coupole, genre "c'est l'usine, mais c'est bon" (comme dit quelque part)? Le plat est en tout cas rehaussé par de nombreuses petites histoires
que s'échangent les personnages afin de mieux se connaître - un peu comme un plat farci. C'est sans doute là l'une des belles et plus fortes réussites de ce gros roman, qui se
développe ainsi en un kaléidoscope aux multiples facettes.
Anna Gavalda, Ensemble, c'est tout, Paris, J'ai Lu, 2007.
Image: affiche du film.