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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 20:26

Il est des lectures qui s'imposent, vu l'air du temps... Après quelques échanges avec une hôtesse régulière de ce blog (qui se reconnaîtra), "Ainsi va l'hattéria", de l'écrivain béninois Arnold Sènou, est de ceux-ci. Je viens d'en terminer la lecture, avec un sentiment d'agréable surprise face à une prose qui sort franchement de l'ordinaire.

Quelques mots, d'abord, sur l'objet: "Ainsi va l'hattéria" est un roman dont le manuscrit a été envoyé par la poste aux éditions Gallimard, qui l'ont publié dans leur collection "Continents noirs" consacrée aux auteurs du sud de la Méditerranée et au-delà. L'ouvrage est écrit de manière compacte, et tient sur 162 pages qui, en dépit de longs paragraphes, sait accrocher le lecteur en lui montrant certaines facettes de la vie africaine.

"Ainsi va l'hattéria" se construit en deux livres et un épilogue. Le premier livre relate la destinée d'un enfant "pas bien né", prénommé Boulou, dont les lourdes ascendances (il est handicapé physique) vont plomber toute son enfance. Il est en effet mal vu partout: on se moque de lui à l'école, on l'exclut des jeux, on ne l'aide pas quand il s'agit d'aller chercher de l'eau. Sa mère n'est pas épargnée: vilipendée, on chante d'affreuses chansons à son propos. Tout cela se déroule dans un village pour ainsi dire anonyme (son nom n'apparaît qu'une couple de fois dans tout le roman, et peu importe!), à une époque mal déterminée. Ce qu'on sait, c'est que ça se passe en Afrique noire, dans un coin particulièrement pauvre et déshérité, où même l'école, lieu de prédilection de ce "tu" qui constitue le personnage principal, n'a rien d'évident. Ce flou délibéré des lieux et ce temps étiré, donnent au tout le goût d'un conte. Un conte où, déjà, perce l'omniprésence de la nature. Le sol se rebiffe, le baobab se met à parler et à répondre à ceux qui l'invoquent, et se veut le relais des arbres morts au nom des constructions humaines. Là encore, le personnage principal, ce "tu" est un acteur.

La deuxième partie fonctionne différemment. On voit d'abord le personnage principal et sa mère traverser la forêt, afin de se rendre dans "la grande ville". Pour "tu", cette traversée a tout d'une épreuve initiatique à l'ancienne, incluant un combat avec l'"hommanimal", être mi-homme, mi-bête qui terrorise la brousse. Une fois les personnages en ville, le récit change de paradigme. D'acteur qu'il était, "tu" devient alors spectateur, voyant les filles courtisant l'Occidental au cybercafé, évoquant le destin d'un jeune footballeur, celui d'une jeune fille partie avec un escroc, etc. Le jeu des apparences prend tout son sens dans cette ville où un homme joue le riche afin d'être apprécié de ses semblables, en particulier de sexe féminin, alors que tout semblait vrai au village. "Tu" acquiert ici une double vue qui lui permet de découvrir les coulisses de l'existence de personnages qu'il ne connaît pas, devenant ainsi une sorte de "narrateur omniscient revisité". Le jeu de la deuxième personne donne ainsi au lecteur l'impression de tout savoir de ce qu'il y a dans les coulisses du récit.

Double fonction du "tu", donc... le lecteur se sent immédiatement concerné. Au début, "tu" est en mesure de savoir ce que l'auteur met en travers de son chemin. Dans le livre deux, ce n'est plus le cas: la ville est trop grande pour qu'on en connaisse tout. D'acteur, "tu" passe donc au statut de spectateur, un rôle passif qu'on colle au lecteur. Passif? Certes. Mais cela permet à l'auteur de raconter d'autres histoires, de se libérer du cadre strict de ce que "tu" est censé savoir.

L'épilogue est optimiste; il reprend une dernière fois un portrait de la nature, avant de faire de "tu" un brave fonctionnaire, enfin arrivé à quelque chose alors qu'il est parti de rien et même de moins que ça. Le tout, à la manière de ce reptile fossile, étonnamment conservé à travers les âges, qu'on appelle l'hattéria.

Arnold Sènou, Ainsi va l'hattéria, Paris, Gallimard/Continents noirs, 2005.
Interview de l'auteur (excellente et recommandable):
http://www.afrik.com/article8025.html

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commentaires

A
Je viens ping-ponguer ici vu que ce soir je n'aurai pas le temps chez moi, et oooh! je suis ravie de voir que nous allons bientôt voir un nouveau lecteur d'Arnold Sènou en la personne de Gangoueus! :)
D
<br /> ... en effet, je lui ai parlé de l'OLNI. Je me réjouis de connaître son avis à ce sujet: il m'a l'air particulièrement intéressé par les littératures africaines.<br /> <br /> <br />
G
Merci pour cette information. Certaines rencontres qu'offrent la Toile sont impossibles ailleurs. Alors j'ai hâte de partager l'expérience d'une plongée dans le style détonnant du sieur A. Sènou... @ suivre.
D
<br /> Il y a tellement de livres, en effet... Ca fait un bout de temps que j'ai repéré votre blog, qui a une belle spécialité; je me suis simplement permis de vous filer un tuyau peut-être intéressant,<br /> et sans doute facile à obtenir en librairie (Sènou est publié par Gallimard). Je vous souhaite bien du plaisir avec "L'Hattéria" - et encore merci de votre passage et de votre commentaire.<br /> <br /> <br />
A
Quel livre étonnant n'est-ce pas?! (oui ça y est, j'ai enfin publié mon commentaire :)) De mon côté, je le caserai bien dans la catégorie OLNI (Objet Littéraire Non Identifié), et si je pouvais en trouver d'autres à caser dans ce rayon, ce serait tout simplement génial! <br /> <br /> Ca fait plaisir de lire des commentaires d'autres personnes qui l'ont lu, je vois que nous avons tous été bousculés, d'une manière ou d'une autre, par le style de l'auteur - ce "tu"... quelle étrange expérience!<br /> <br /> En tout cas, je profite de mon passage par ici pour appuyer ton commentaire et inciter les gens à découvrir ce roman qui est absolument formidable!
D
<br /> J'ai fait un peu de publicité pour nos billets respectifs. On verra si ça fera décoller les PAL, donc les ventes, donc la notoriété de cet auteur qui le mérite. Je me réjouis de lire d'autres<br /> billets à ce sujet, mais il en a peu été question dans la blogosphère. <br /> Et effectivement, c'est assez étrange comme roman - roman, vraiment? J'ai beaucoup aimé ton billet; merci de partager ainsi tes impressions!<br /> <br /> <br />
M
Félicitation mon cher ! Aller au bout de "Ainsi va l'Hattéria", c'est d'abord un mérite car il s'agit là d'une écriture totalement différente. je me rappelle, lors de la présentation de l'oeuvre au centre culturel français de Cotonou, bien des gens avertis du monde littéraires se demandaient déjà : "à quel genre littéraire pouvait-on associer cette oeuvre ?" tu l'as flairé aussi. Conte ? récit ? roman ? Satyre poétique ? Ces longues phrases qui parfois déroutent le lecteur distrait... L'oeuvre enfin étale de façon allégorique, toute son ambition à soulever les maux qui minent une Afrique qui se bat pour résoudre ses problèmes. "tu" aura peut-être été un exemple de témérité (qui affronte l'Hommanimal - les-pilleurs-de-l'Afrique) et d'envie de sortir de sa situation (la découverte de la ville... le fonctionnaire, et cette belle nature qui tend ses beaux bras verts... ), dont il n'est sûrement pas seul responsable. J'attends de lire ton billet sur "la floraison des Baobab".
D
<br /> Bonsoir, merci de ton passage et de tes riches commentaires! Effectivement, on peut se demander à quel genre rattacher "Ainsi va l'hattéria" - a priori un roman, d'autant plus que l'auteur le<br /> dit lui-même; mais en littérature, rien n'est si simple... il y a aussi de la poésie là-dedans, c'est vrai, en plus du simple récit. Reste que M. Sènou m'a fait passer un excellent moment. Le<br /> connais-tu personnellement?<br /> En ce qui concerne "La Floraison des baobabs", j'ai noté les références. J'espère que mon libraire habituel pourra me l'obtenir: l'éditeur me semble plutôt confidentiel, et il n'est pas certain<br /> qu'il soit diffusé en Suisse. Auquel cas il me faudrait recourir à d'autres moyens pour l'obtenir.<br /> A bientôt donc! Et bonne continuation.<br /> <br /> <br />
A
Je suis en train de me cravacher les yeux pour avancer plus vite dans ma lecture en cours. Je t'ai lu en diagonal pour l'instant (histoire de préserver le suspens) mais je suis tombée sur des mots prometteurs. Je reviendrai sur ton commentaire dès je l'aurai fini de le lire!
D
<br /> ... fouette cocher! ;-) Et je me réjouis de connaître ton avis sur ce livre.<br /> <br /> <br />

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