Je viens de terminer, finalement avec bonheur, le roman "Sire" de Jean Raspail, une vieille chose publiée en 1991, au temps où les personnages n'avaient
ni Internet ni téléphone portable pour faire avancer leurs desseins. Cela n'a l'air de rien, mais qu'est-ce que la donne a changé depuis!
Ces détails ont leur importance. Jean Raspail livre ici, en effet, un roman d'anticipation puisque son propos se déroule en 1999 - un 1999 imaginé sans tous ces outils, avec un Président de la
république sans visage auquel est subordonné un Premier ministre qui va connaître une intéressante évolution. Laquelle? De républicain convaincu, il va être progressivement convaincu de
l'évidence de la monarchie en France... et ce, à partir du 21 janvier 1999. Soit très exactement 206 ans après que Louis XVI a été décapité.
Quel est le propos de Jean Raspail dans ce roman? L'auteur imagine un certain Philippe Pharamond, et le peint en héritier du trône. Et le fait parcourir tout un jeu de piste qui le conduira à
devenir roi. Roi de France, roi de son jardin, peu importe, l'essentiel étant qu'il soit dûment investi de la mission qui, organiquement, intimement lui revient. Au fond, c'est une affaire entre
Dieu et le monarque consacré, ou du moins Jean Raspail la présente-t-il comme telle, certain que seule la monarchie de droit divin est digne de ce nom, tout le reste n'étant que dictature et
despotisme.
Jean Raspail recrée ainsi tout un jeu de piste, à telle enseigne que l'on pense parfois au "Da Vinci Code" de Dan Brown. Mais si ce dernier livre un roman efficace reposant sur une énorme
documentation, Raspail amène ici un roman certes plus exigeant, mais aussi empreint d'une culture historique immense qui colle à la peau de l'auteur comme une seconde nature, et surtout d'une
immense sincérité. Le jeu de piste conduira le lecteur à Reims, à Saint-Denis, à Paris, et le fera se souvenir de Pully, en Suisse; il partira à la poursuite de la Sainte Ampoule et de
Joyeuse, l'épée de Charlemagne. Enfin, Jean Raspail fait un clin d'oeil à ses bons vieux Pikkendorff.
Certes, la magie des romans qui viendront plus tard (en particulier le formidable "Les Royaumes de Borée") n'intervient pas d'entrée de jeu, ce qui peut induire une certaine déception - je l'ai
ressentie. Quelle magie peut-il y avoir, en effet, dans les dialogues entre un Premier ministre, Rotz, et son âme damnée, Racado, derrière les fenêtres de la Place Beauvau? Mais il faut
faire confiance à Jean Raspail: il ne vous laissera pas en plan en matière de fantastique.
Qui est Pharamond, en effet? Il s'agit du premier roi de France, bien avant Clovis II, à la différence près que Pharamond est un personnage de légende. Dans le roman, son homonyme, âgé de 18 ans,
apparaît comme un "pur". Pur, sans péché? Ce serait beaucoup dire: comme tous les jeunes gens brillants, il se joue des épreuves à l'école sans trop travailler, et fait figure de rebelle. Rien
d'un Christ moderne! Il est en revanche certain que ce jeune homme dispose d'un charisme extrême. Sans cela, comment se ferait-il que toutes les portes, même les plus hermétiquement closes,
s'ouvrent devant lui? Quelques signes ne trompent pas, à l'instar de cette couronne de fleurs de lys déposée sur la Place de la Concorde, sans qu'on sache qui a fait ce geste. Plus loin dans le
récit, Jean Raspail use avec virtuosité de ficelles éprouvées du genre, par exemple en situant des événements dans un brouillard si dense et si localisé qu'on se demande s'ils sont réellement
survenus, ou en faisant essentiellement progresser son action au plus profond de la nuit, quand tout le monde dort.
Le fantastique et le surnaturel sont du reste indispensables à un récit mettant en scène la royauté française. Une histoire de roi, en acte ou en devenir, fait en effet nécessairement référence à
des contes d'enfance. L'étrange survient également dans la relation des événements historiques qui ont mené à la situation actuelle. Qu'on pense au destin de la Sainte Ampoule, objet
indispensable à tout sacre, brisée, récupérée, perdue, retrouvée comme par miracle, ou à la présence mystérieuse de témoins un peu plus concernés que d'autres lorsqu'un a vidé les tombeaux des
rois pendant la Révolution française. Cela, naturellement, sans compter le coup de pouce de Dieu lui-même qui, avec la complicité de milliers d'anges gardiens, organise une panne de courant sur
toute la région parisienne (Paris inclus) pour signaler l'imminence du couronnement à toutes les personnes concernées. Le signe choisi? Seules les maisons qui resteront éclairées sont concernées.
Au terme d'un cheminement personnel, même Rotz est acquis à la cause, et se retrouve nuitamment à la basilique Saint-Denis, livrée aux vandales... une basilique gardée par Rose, Antillaise
de 120 kilos qui parle tous les jours à Louis XVI, par-delà la tombe. Face à la puissance de ces événements dont on ne saura jamais s'ils sont vrais, l'ultime résistant, Racado, semblera bien
dérisoire; il finit par se jeter dans la Seine, de toutes façons...
Comment, enfin, Jean Raspail parvient-il à rendre la monarchie sympathique? Comment arrive-t-il à intéresser son lectorat à un bonhomme appelé à devenir, finalement, le roi de son jardin? La
ficelle est fort classique, grosse même, mais elle fonctionne à 200% dans ce récit. L'équipe qui entoure le jeune roi Pharamond est en effet constituée de jeunes gens, à commencer par sa soeur
jumelle. Leurs équipées nocturnes à cheval ont quelque chose d'héroïque. L'auteur parvient même à rendre le petit entourage de Pharamond représentatif de la société française, noblesse,
clergé, tiers état. Tous ces jeunes gens sont portés par la certitude qu'il leur faut accomplir leur destin. Face à eux, se trouve le Premier ministre, forcément âgé, forcément un fusible -
l'image même de la fonction éphémère, surtout dans le système français. Rotz finira du reste par être persuadé du côté dérisoire du système dont il est un rouage. Ces aînés sont des personnages
arrivés, qui n'ont plus rien à prouver, ni même de marge de progression. Les hommes de main de Rotz et de Racado sont eux aussi interchangeables: qu'on pense aux inspecteurs A. et B. - alors que
tous les personnages de l'entourage de Pharamond sont dûment nommés.
Avec tout ça, on deviendrait presque royaliste... j'exagère; mais Jean Raspail produit ici un ouvrage finalement convaincant, magnifique, empreint de nostalgie certes, mais aussi de tout l'esprit
très beau qui empreint la monarchie telle que la France l'a connue.
Jean Raspail, Sire, Paris, De Fallois, 1991.
Lectures complémentaires:
Pour en savoir plus sur le royalisme: Yves-Marie Adeline, Le royalisme en questions, L'Age d'Homme/Editions de Paris, 2003.
Pour ceux qui aiment les jeux de piste: Dan Brown, Da Vinci Code, Pocket. 2005.
Pour ceux, enfin, qui préfèrent retrouver le Davyn Chicode: Florentine Rey, Blandine-Marcel, Michalon, 2006.