Madagascar, le bout du monde, vraiment? En quatrième de couverture de son roman "Rade Terminus", Nicolas Fargues rappelle que si son roman a un but, c'est biend e faire
comprendre au lecteur occidental que, considéré depuis tous les "bouts du monde" de la planète, l'occident, c'est le bout du monde. A chacun son point de vue; mais l'écrivain, qui a
lui-même travaillé à Diégo-Suarez (Madagascar), défend bien le sien.
"Rade Terminus" présente en effet une belle brochette de personnages débarqués à Madagascar pour les motifs les plus divers. Leur point commun? Ils ne fichent pas grand-chose sur place, même ceux
qui sont en mission pour une ONG. Cela renvoie à l'impuissance foncière du monde occidental à agir; Hervé, le seul personnage qu'on attrape à faire quelque chose de concret (construire un chemin
pour sa secrétaire) se fait blâmer pour concussion.
Tous ces points de vue, tous ces regards permettent au romancier d'exposer une vision nuancée du pays, qui oscille en permanence entre mépris et fascination, avec un juste milieu peut-être
exprimé par le personnage de Mathilde, en voyage de tourisme: "c'est beau, mais pas comme je l'imaginais", dit-elle en substance dans son journal. Quant au mépris, il s'exprime même, et très
fort, à travers la bouche des locaux - à l'instar d'un Noir du cru, qui semble un original un peu escroc sur les bords.
Le jeu des personnages donne au lecteur, en principe occidental, l'occasion de réfléchir sur la vanité de l'Occident, à tout ce à quoi il tient alors que cela n'a qu'une valeur toute
relative - les psys, par exemple. A ce titre, justement, le dialogue entre Mathilde et un chauffeur de taxi est emblématique: une tentative d'échange entre deux systèmes de valeurs qui
fonctionnent... mais sont totalement différents. Celui du taxi semble, à bien des égards, plus sain... Réciproquement, l'épisode de Grégorien, fraîchement débarqué en France pour y mener des
études, constitue également un point fort du roman. Le gaillard reste poli en permanence, face à un peuple de nantis qui le déconcerte par ses réponses peu amènes. Du grand cinéma!
C'est que Nicolas Fargues excelle également dans les scènes très visuelles, très cinématographiques. L'épisode de Grégorien mériterait d'être adapté à l'écran, mais aussi celui où l'on voit le
jeune assistant Amaury se colleter avec une piqûre de moustique et de l'eau non potable dans sa chambre d'hôtel, avec pétage de plombs magistral à la clé.
Les départs et points de départ de ce roman sont en effet nombreux, mais n'aboutissent pas forcément, à l'instar de projets humanitaires auxquels même leurs responsables ne croient plus. On finit
par avoir, au final, l'impression pas forcément déplaisante qu'il ne se passe rien dans ce roman. Pas grave: le résultat constitue un roman profondément original, tout en nuances et petites
touches, peignant un pays oscillant entre l'amertume de l'Occidental et la vie quand même, sans doute plus intense à Madagascar qu'en Occident. "Rade Terminus" est par ailleurs pétri de
paradoxes et d'éléments étranges, tels ceux exposés au chapitre 48, et renvoie effectivement l'Occidental blanc, lecteur de Fargues, à ses propres contradictions. Plus profond qu'il n'y
paraît...
Nicolas Fargues, Rade Terminus, Paris. POL, 2004/Folio, 2005.