"Orthographe en mutation", comme le laisse entendre la titraille du journal "La Liberté"? N'allons pas trop loin, de grâce... Mais
permettez-moi de replacer le contexte. Le Salon du livre de Genève va ouvrir ses portes prochainement; il abritera une exposition qui a déjà bien tourné en Suisse romande, et qui s'appelle "Les
Jardins de l'orthographe". L'idée? Présenter et démythifier l'orthographe française, réputée capricieuse, en la mettant en scène dans un jardin ludique où les feuilles ou les fleurs des
arbres présentent une bricole qui peut paraître étrange: saviez-vous que seuls quatre mots utilisent le signe "à", que vous trouvez pourtant sur votre clavier suisse romand?
C'est une exposition sympa sur le sujet, mais qui ne manquera pas d'interpeller ceux pour qui l'orthographe n'est pas un traumatisme, mais une notion aux enjeux importants.
La presse s'en est fait l'écho; de même, la demi-finale du championnat romand d'orthographe, organisée samedi matin au Salon du livre précisément, constituera un contrepoint intéressant
à cette exposition, proposée par l'association "Semaines de la lecture".
Le journal "La Liberté" attaque le problème par quelques exemples qui prêtent à la discussion. Un exemple? "Qui peut se targuer d'être parfaitement sûr de l'accord des verbes pronominaux sans
Grévisse?", interroge le journaliste. Bonne question - mais il est de fait qu'après consultation du Grévisse (vous savez, ce gros volume qui recense toutes les règles de grammaire, dans toute
leur organicité), il n'est pas certain que vous ayez l'esprit moins empli de doutes: certes, cet ouvrage de référence vous explique la règle; mais il vous expose également les points peu
clairs... et la manière pas toujours orthodoxe dont les plus grands maîtres de la littérature française ont réglé le cas. Sans doute existe-t-il un outil plus confortable.
L'autre exemple parle du participe passé, "qui passe la plupart du temps inaperçu à l'oral". Mouais: certaines erreurs s'entendent; par ailleurs, à l'écrit, aucune erreur n'est pardonnée. J'en
parlais justement à un ami ce soir... et il était question d'oral.
Ce qui me ramène à la problématique de l'écrit, justement, puisque l'orthographe est l'art de bien écrire. L'accord du participe est porteur de sens. Si l'on accorde le participe avec tel et tel
élément plutôt qu'avec tel autre, c'est bien parce que les deux vont ensemble. Elitaire? C'est ce que rappelle le journaliste; j'ai envie de répondre: "Oui, et alors?" Certes, notre époque n'est
pas amoureuse des élites... mais au fond, pourquoi ne pas viser directement le meilleur, le plus fin, le plus optimal?
L'auteur de l'article de "La Liberté" évoque par ailleurs la réforme de 1990... oubliant que celle-ci a été enterrée très discrètement par l'Académie française l'année suivante, débordée par les
choux gras qu'en a faits la presse. Seuls quelques éléments de cette réforme (les plus évidents) ont trouvé place dans les dictionnaires: vous pouvez écrire "platebande" ou "douçâtre" (il y en a
déjà que cela choque, mais allez voir votre Robert!), mais certainement pas "nénufar", quoi qu'en pensent certaines commissions. En la matière, le mieux est donc de se référer aux ouvrages de
référence usuels plutôt qu'aux circulaires.
J'ai pris l'habitude de comparer l'orthographe française à une technologie très fine, comme celle qui régit l'informatique. "L'orthographe n'est ni un art, ni une morale, ni un dressage, ni une
morale, c'est un outil au service des lecteurs.", affirme Vincent Darbellay, un des concepteurs de l'expo, dans le guide que l'Hebdo consacre au Salon du livre. Je suis entièrement d'accord avec
lui; mais il vaut mieux que l'outil soit aussi précis que possible - ce qui s'accommode mal de l'attitude laxiste de certains par rapport à l'orthographe française: n'importe quel artisan vous
dira qu'il préfère les bons outils, soit ceux qui sont le plus à même de lui permettre de faire son travail. Plutôt que de réformer l'orthographe ou d'en relativiser sa valeur, n'y aurait-il pas
moyen de repenser sérieusement son enseignement?
J'aurai plaisir à évoquer, à l'occasion, la réforme de l'orthographe de 1990, et sa manière bien à elle de revenir par la fenêtre alors qu'on l'a sortie par la grande porte. A bientôt
donc...