Sur son excellent blog, Marie-Catherine a publié aujourd'hui le texte "Potatam", né d'un exercice de
style imposé par le forum d'auteurs "A vos plumes". Cela m'a donné l'envie de publier à mon tour, dans ces colonnes, le texte un peu gommeux (OK, j'admets que j'ai un peu forcé sur la graisse de
phoque!) que j'ai pondu pour le même jeu d'écriture.
Rappel des règles: il fallait caser, dans un texte de 3000 signes, les mots "hippopotame", "sparadrap", "pot de chambre", "lampadaire",
"plume d'oie" et "gageure". Comme me disent mes collègues suisses alémaniques: "Viel Spass"! Et le fait est que je me suis pas mal amusé sur
ce coup-ci.
Quand les pots de chambre auront
des dents
Il faisait ce soir-là un froid à défriser les poils d’un bébé phoque sur la banquise où vivait
le jeune Victor, Esquimau de chic, de choc et de charme, qui n’aimait rien tant que de graisser ses matinées dans son petit lit en plume d’oie, au fin fond d’un igloo tout rond construit, et
c’est une gageure, en briques de glace cimentées par de la neige et des sparadraps.
Impossible pourtant, aujourd’hui, de rester enfermé dans son cocon de glaciale chaleur. Il avait en effet un rendez-vous avec la belle Pôle-Emilie. Ils étaient convenus de se retrouver à six
heures et demie sous le lampadaire que la municipalité d’Atavík avait cru bon de poser, non loin de l’igloo de Victor. Autant qu’il serve à quelque chose, s’était dit le jeune Esquimau, qui
oubliait difficilement toutes les difficultés qu’il avait à s’endormir le soir, avec toute cette lumière, et à traverser sans encombre la nuit du 21 septembre au 21 mars. Et puis, Victor l’aimait
bien, la petite Pôle-Emilie : elle avait un joli minois, et son léger embonpoint laissait augurer de savoureux pelotages au dessert. Justement, ils avaient décidé, ce soir-là, de se faire un
souper aux chandelles à l’Hippopotamus – où l’on servait, en exclusivité, de la viande d’hippopotame importée de terres si lointaines qu’on n’y brisait pas la glace pour faire connaissance.
Victor savait que là-bas, les igloos s’appelaient des cases. Histoire de briller un peu, il présenterait à Pôle-Emilie ce subtil distinguo architectural.
A dix-huit heures vingt-cinq, Victor se trouvait au lieu de rendez-vous. Un peu d’avance, c’était toujours bien ! Il s’était mis sur son trente et un, allant même jusqu’à graisser ses bottes et à
rafistoler son capuchon. Mais l’heure tournait…
… Le jeune Victor finit par s’impatienter. « Elle va finir par débarquer quand les pots de chambre auront des dents », commença-t-il à penser, un brin excédé, titillé en outre par un besoin
impérieux qui lui dictait de se soulager de quelques cubes de glace. Ce qu’il fit illico, en toute simplicité.
Mais Pôle-Emilie tardait à venir. Le répit céda donc la place à un certain énervement. N’y tenant plus, Victor sortit donc un thermomètre de sa poche, le regarda, et s’exclama :
- Si à moins vingt, elle n’est pas là, je rentre chez moi !
Le blog de Marie-Catherine.