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12 juillet 2016 2 12 /07 /juillet /2016 19:23

Dilasser PierresUn jeune homme va se marier. Le jour fatidique, sa fiancée s'enfuit sans crier gare. Son promis part à sa recherche... Impossible de ne pas penser au mythe d'Orphée lorsqu'on lit "Dernières pierres", roman de Bernard Dilasser. Le cadre est moderne, certes, et parfaitement prosaïque: le lecteur oscille entre une église de campagne, une gare, un train et une préfecture de province, sans doute en Bretagne. Cadre prosaïque, un brin dégradé parce que désacralisé, qui concourt à ce qu'aujourd'hui, chacun accède à un mythe revisité.

 

Le mythe revisité...

La figure du personnage principal, Charles, met immédiatement la puce à l'oreille. Il se présente comme un ménestrel moderne, défenseur des traditions musicales bretonnes, allant jusqu'à porter des costumes traditionnels. Contrairement à Orphée, il n'a guère trouvé son public; mais il est encore jeune, c'est normal. L'auteur le voit disert, enfin: les dialogues laissent une large place à ses paroles, empreintes d'optimisme et d'une vision du monde chrétienne, héritée des années de pensionnat.

 

Il est évident de voir dans la disparition de Juliette, sa fiancée (et quel nom pour une fiancée, depuis William Shakespeare!), une version moderne d'Eurydice. L'auteur épice la relation entre les deux personnages en leur inventant des rituels, une tendre liturgie amoureuse à base de travestissements finalement bon enfant. Et pour que le lecteur soit séduit à son tour, il offre à Juliette de grands yeux noirs.

 

Et s'il fallait lever un dernier doute, c'est lorsque Charles va chercher sa promise, prenant un ascenseur vers les sous-sols d'une préfecture obscure, que se confirme la recréation du mythe. Le lecteur est sur des rails: il y aura une condition pour qu'elle se marie finalement avec Charles, Charles ne la tiendra pas, Julie fuira. Et Charles finira lapidé par des furies - un peu comme Orphée a été foudroyé par Zeus, selon la version de ce mythe relayée par Pausanias.

 

... et sa désacralisation

L'écrivain ramène le mythe sur Terre, si l'on peut dire, et le réduit à une dimension globalement humaine - tout au plus y a-t-il une once de mystère autour des locaux de la préfecture. Mais si ce lieu conserve un gardien au tempérament de Cerbère, celui-ci n'est rien d'autre qu'un fonctionnaire docile, chargé de faire barrage entre les visiteurs importuns et le préfet.

 

Bien de son temps (le nôtre, hein!), Charles se déplace en train, et paie son billet. L'auteur place sur la route de Charles un collègue d'école devenu agent de guichet SNCF, à la mentalité bien trempée. Le caractère expansif de Charles fait merveille face à ce personnage, ce qui permet au lecteur d'en savoir un peu plus sur la vie, les espoirs et les amours du jeune homme. Au guichet puis autour d'un café, leur conversation fait écho à celle mettant aux prises un adolescent aux yeux de grenouille, narquois face au christianisme, et un prêtre, en tout début de roman.

 

Enfin, la scène de lapidation qui termine le roman - introduite de manière abrupte - se déroule avec des harpies parfaitement humaines, qu'on imagine volontiers comme une bande de filles à la violence facile (ça existe aujourd'hui), peut-être vêtues de cuir. Méchantes? On n'a pas envie d'y croire totalement. Cela dit, c'est face à cette épreuve de vérité mortelle, qui donne enfin la clé du titre du roman, que le lecteur comprend à quel point Charles, alias l'Orphée moderne revisité gentil garçon, était épris de sa Juliette - dont l'auteur n'évoque plus le destin, à partir du moment où elle s'est évanouie dans la nature.

 

Certes, "Dernières pierres" est un roman court. Mais l'auteur se montre généreux. Il alterne les denses paragraphes où Charles s'observe et observe le monde et des dialogues où, parfois, les personnages s'installent dans la conversation pour de longues tirades. Sur la base d'un récit connu et revisité dans un cadre sans éclat, l'auteur réussit à offrir un récit coloré et frais, joyeux même par moments.

 

Bernard Dilasser, Dernières pierres, Paris, La Différence, 2009.

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