"Chemins de traverse": le titre de ce recueil de contes et de nouvelles peut paraître convenu. Catherine Gaillard-Sarron, son auteur, lui donne tout son sens. Avec ce nouveau livre, l'écrivaine choisit d'explorer de nouvelles possibilités offertes par le genre de la nouvelle, après avoir offert plus d'un recueil, d'inspiration fantastique ou quotidienne.
Chemins, donc. Ceux-ci sont une constante dans ce recueil, au sens propre comme au sens figuré, l'un n'allant le plus souvent pas sans l'autre. Ce thème classique est annoncé dès la première nouvelle, "Le chemin", qui a des allures de prose poétique, décrivant les beautés d'un paysage. De manière évidente, il adopte une forme cyclique, annoncée dès ses premières phrases: "Il n'a pas de début et pas de fin non plus" - une idée reprise à la fin: "Car mon chemin n'a pas de début et pas de fin non plus." Phrase reprise, à peine modifiée - une modification qui porte tout le sens de l'enrichissement du chemin parcouru, même si les points de départ et d'arrivée se confondent.
Le ton est ainsi donné: plutôt que de l'action, il y aura de la réflexion et de la poésie dans les pages de "Chemins de traverse". Plus d'une nouvelle utilise les versions modernes du chemin que les humains parcourent comme prétexte à des moments de réflexion, la pensée cheminant au fil du parcours. Cela peut être un parcours en voiture ("Musicomane"), une randonnée où l'on cause ("Les marcheurs") ou même un voyage attendu mais jamais effectué ("Terminus...", beau moment de réflexion immobile de la part d'un homme mangé par son travail).
L'auteure partage au fil des pages une vision du monde personnelle et aborde des questions que tout un chacun se pose: la mort qui peut frapper un couple, et alors, vaut-il mieux partir le premier? ("Les marcheurs"), les distractions du quotidien qui éloignent de l'essentiel qui se trouve au fond de chacun de nous ("Le visiteur", avec son personnage d'ado bloqué dans une chambre avec l'interdiction de bouger à la suite d'un accident). Si les sujets sont graves et touchent à l'essentiel, ils n'excluent pas un certain sourire, ni les clins d'oeil au lecteur astucieux: si le nom de Crassote, sage du socratique "Dialogue sur la solitude", prête à sourire, on se souviendra qu'il rappelle aussi le mot russe qui signifie beauté (красота).
Ces nouvelles invitent chacune et chacun à réfléchir en douceur aux grandes questions de la vie. Le lecteur pourra dès lors être surpris par le côté péremptoire de "Le Grand Rêve", long dialogue entre une grand-mère et sa petite-fille autour des hommes et des femmes, marqué par un secret aux allures de complot féminin et installant un manichéisme primaire entre les hommes, présentés comme dominateurs et égoïstes (même s'ils ne le sont pas en apparence), et les femmes, sensibles et pleines d'amour, et en définitive supérieures aux hommes. L'auteure oppose ici l'image d'un spermatozoïde, viril et conquérant, et celle d'un ovule, aimable et rond. Ce texte détonne ici: une vision aussi clivée a-t-elle sa place ici?
"Le Grand Rêve" suggère, cela dit, l'idée païenne de la possibilité d'un dieu femme. C'est que l'auteure tourne autour de l'idée de la divinité au fil des pages, acceptant volontiers, de manière presque évidente, la possibilité d'une transcendance. Dieu des chrétiens ou autre chose? La question est ouverte; l'auteure va jusqu'à intituler une de ses nouvelles "Le Grand Horloger", ce qui est la traduction d'une certaine vision d'un principe qui dépasse l'humain et organise l'univers dans ses rouages. Cela, sans exclure que c'est peut-être en nous que se trouve ce principe transcendant - une sorte de "δαίμων" socratique. Socrate, encore lui...
Provocants ou méditatifs, les textes de "Chemins de traverse" s'avèrent de bons points de départ pour des réflexions personnelles, tournant autour de thèmes qui concernent chaque lecteur. L'auteure offre ses pistes de réflexion, ses éléments de réponse, dans une écriture abordable qui ne perd pas le contact avec le concret, puisqu'il met à chaque fois en scène des personnages humains ordinaires comme point de départ. Cela, au gré d'un recueil bien construit: si la dernière nouvelle s'intitule "Le bout du chemin" et suggère la fin de vie, ce n'est pas tout à fait un hasard...
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Catherine Gaillard-Sarron, Chemins de traverse, Chambon, Catherine Gaillard-Sarron, 2016.
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