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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 20:12

Ferry TransLu par Mathesis Universalis.

 

Uberisation et transhumanisme: Luc Ferry s'empare de deux sujets d'actualité et les rapproche. Le résultat, c'est un livre réfléchi et pondéré intitulé "La révolution transhumaniste". Paru dernièrement chez Plon, cet essai tout à fait actuel développe la position du philosophe français face à des évolutions sociétales dont chacun a entendu parler.

 

"On pourra trouver curieux de trouver associées dans un même livre deux questions en apparence fort différentes: celle de l'avenir biologique et spirituel de l'identité humaine d'un côté et, de l'autre, celle d'une nouvelle donne économique qui, pour l'essentiel, consiste à établir des relations de particuliers à particuliers en court-circuitant les professionnels des professions.": l'auteur est conscient que les deux thèmes qu'il aborde dans son livre peuvent paraître fort distants. Une fois rappelée l'impréparation des politiques français à ces deux tendances, il répond à cette objection en citant quelques points communs: une infrastructure technologique largement commune, le passage de pans entiers de la vie d'un caractère fatal à un statut maîtrisable ("from chance to choice", pour le dire en anglais), la notion d'innovation destructrice et une remise en question de la société capitaliste actuelle. Cela, sans oublier la capacité qu'ont ces évolutions de changer la vie de chacun d'entre nous - et notre humanité même.

 

Sur cette base, l'auteur développe une synthèse claire et captivante des enjeux de ces deux aspects. Avec pertinence, il développe l'image du tragique à la façon d'Antigone pour illustrer les camps favorables et défavorables aux évolutions telles que le transhumanisme et la numérisation. Il reconnaît ainsi qu'à l'instar des personnages de la tragédie de Sophocle, tous les acteurs d'aujourd'hui ont de bons arguments à faire valoir, qu'ils soient favorables ou opposés à ces évolutions.

 

Cela ne l'empêche pas de considérer d'un oeil critique, parfois narquois, les positions des uns et des autres. Pour sa démonstration, il convoque par exemple, de manière attendue, Jeremy Rifkin, dont il partage les constats tout en se posant en désaccord sur ses conclusions. En particulier, il réfute l'hypothèse de la "fin du travail" développée par Jeremy Rifkin dans le livre qui porte ce titre, considérant plutôt que si l'évolution détruit des emplois dans des métiers devenus obsolètes, elle en crée aussi - c'est là qu'intervient la notion schumpeterienne de "destruction créatrice", portée par la nécessaire innovation. Côté uberisation, il pose les bonnes questions concernant le transfert de données privées, et démonte le mythe de la gratuité, à la suite, entre autres, de "La Tyrannie technologique", de Pièces et main d'oeuvre - tout en réfutant, à la différence de ce collectif, le caractère intrinsèquement néfaste de la technologie.

 

L'auteur définit aussi ce qu'est le transhumanisme, en lequel il voit entre autres l'idée d'une intervention sur l'humain qui, dépassant la traditionnelle manière thérapeutique, ambitionne d'améliorer l'homme. Il touche dès lors à des questions d'éthique attendues, notamment sur ce que peut encore être un humain amélioré par une intervention génétique ou mécanique, et sur le libre consentement de l'humain amené à vivre avec une "réalité augmentée". On le sent inquiet face à des technophiles convaincus tels qu'un Mark Zuckerberg ou à des dictateurs peu scrupuleux, mais également critique face à ceux qui refuseraient en bloc les avancées indiscutables promises par le transhumanisme, par exemple en matière de thérapie génique. Faut-il renoncer, au nom de la loi naturelle ou de principes religieux, à soigner un enfant à naître ou une personne atteinte du cancer? L'auteur répond par la négative, au terme de pages fort argumentées et réfléchies.

 

Dans sa captivante synthèse, le philosophe ne manque pas de signaler l'avance que les Etats-Unis ont sur la France et l'Europe en la matière, et ses sources sont souvent d'outre-Atlantique. En matière de politique, sa position s'avère pondérée. Il considère que face aux défis du transhumanisme et de la numérisation, une attitude saine consiste à les laisser être, puisqu'il est illusoire de vouloir s'y opposer par des interdits, tout en développant des normes empêchant les débordements prévisibles, le plus grave étant peut-être ces robots tueurs, susceptibles d'apprendre par eux-mêmes parce que leur "cerveau" sera capable de le faire, et donc de se défendre victorieusement face à l'humain. "La révolution transhumaniste" s'achève donc sur une note de prudence, et l'auteur a la modestie de donner le mot de la fin à Bill Gates, Stephen Hawking et Elon Musk, opposants aux robots tueurs et effarés que cela n'inquiète pas plus la société civile...

 

Luc Ferry, La révolution transhumaniste, Paris, Plon, 2016.

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