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9 mars 2016 3 09 /03 /mars /2016 22:25

KempterJ'ai évoqué lundi "Barrages", le dernier ouvrage de l'écrivaine valaisanne Gwénaëlle Kempter (photo) - une belle lecture! C'est intentionnellement que je ne me suis pas approfondi sur la novella éponyme de ce recueil: par sa richesse, celle-ci méritait un billet à part. Le voici.

 

Le titre "Barrages" interpelle d'emblée. Certes, c'est un barrage, un vrai - peut-être celui de la Grande-Dixence - qui jouera en définitive le rôle clé de cette nouvelle, un rôle menaçant. Mais il y est surtout question des barrages que les humains se mettent entre eux, et qui les empêchent parfois de se rapprocher. On songe aux fiertés viriles qui s'affrontent, certes. Mais "Barrages" évoque aussi ce que l'accès à une société étrangère peut avoir de difficile: après tout, "Barrages", c'est l'histoire d'un gars qui est accueilli dans une communauté post-apocalyptique qui l'accueillera... à condition qu'il joue son jeu. L'ouvrage d'art, imposant mais fragile, fait donc figure de métaphore des barrages que les humains se mettent entre eux.

 

Barrage également lorsqu'il est question de la personne de Cassandre, cette fille pour ainsi dire adoptive que Cyriak a pris sous son aile. Elle parle soudain, après avoir été muette; c'est là un barrage qui saute, après une expérience extrême qui détermine un choix de vie: vivre avec Cyriak, celui qui l'a sauvée, ou avec Léanne, qui a tenté de créer un lien avec elle. Un lien un brin intéressé...

 

Léanne est un personnage intéressant, en effet: c'est la seule figure féminine marquante de cette novella, et elle joue un rôle ambivalent - est-elle celle qui voudrait faire barrage à Cyriak? Elle se donne à lui, elle s'occupe de Clarisse. Reste que l'auteure reconstruit avec adresse un dialogue du choix, où Léanne défend son envie de vivre avec un homme qui a sa fierté, quitte à exploiter le lien créé avec la fille. L'homme préfère la liberté - et en donnant la parole à Cassandre - une enfant! - précisément au moment de choisir, l'auteure insiste sur le caractère intéressé, possessif, pas du tout sincère de Léanne. Et sur la sincérité d'une enfant qui ne parle pas, et surtout pas pour mentir.

 

L'auteure suggère enfin le décor d'un certain Valais, héritier d'une vie qui fonctionne selon ses règles propres et se défie de l'extérieur - on retrouve cela dans "On dirait toi" de Sonia Baechler. Il y a évidemment le regard défiant face au loup domestique de Cyriak; mais de manière plus évidente, l'auteure utilise les mots du cru: les bisses, les mayens renvoient immédiatement à un imaginaire typiquement valaisan. Sans parler des barrages, justement...

 

"Barrages" est une nouvelle post-apocalyptique qui met en avant des conditions de vie particulières, opposant la race des "saigneurs" de la plaine et celle des habitants des montagnes, qui ont su trouver un certain confort matériel dont ils sont jaloux - et un brin esclaves. Peu importe dès lors le statut de l'étranger - réfugié, voyageur, nomade: s'il joue le jeu, il sera accepté. Comment ne pas penser aujourd'hui aux réponses que nous tentons de donner à la crise des migrants?

 

Cela dit, le loup de Cyriak nous met sur la piste, en imposant de prendre le point de vue du migrant ou de l'errant, d'une fierté totae. "Barrages" est en effet avant tout l'histoire d'un homme libre et sans concessions (voir ses confrontations avec Ilian, figure paradoxale d'un chamane lâche mais respecté) et refusant toute attache, comme peut l'être le loup dans "Le Loup et le Chien", fable de La Fontaine: comme ce loup, Cyriak refuse tout collier sur son cou. Et comme Jean de La Fontaine, on a envie de dire, au terme de la lecture de "Barrages": "Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor." Et Cyriak avec lui, sous la neige.

 

Gwénaëlle Kempter, Barrages, publié en autoédition. Pour passer commande, c'est sur Lulu.com que ça se passe.

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