Lu par Caput mortuum.
Un monde qui joue à se faire peur: ne serait-ce pas le nôtre? Paru en 2009, "Principe de précaution" est le deuxième roman de Matthieu Jung. Réelles ou fantasmées, les peurs actuelles constituent son fil rouge. Cela, autour d'un personnage nommé Pascal, trader de son état, se partageant entre son travail à Paris et son logis familial au Pecq.
L'ancrage temporel de "Principe de précaution" est précis: ce roman se situe dans les années 2004/2005. Régulièrement citée, l'actualité en témoigne (tsunami, Nicolas Sarkozy ministre de l'Intérieur, loi Fillon). C'est donc avant les crises successives des subprimes (même si ces produits bancaires toxiques sont mentionnés), de la dette souveraine, etc. L'auteur choisit de mettre en scène un trader éloigné des stéréotypes en vogue, faisant de ce genre de professionnel le responsable de tous les maux de l'économie mondiale. On pourrait même soupçonner Pascal d'être trop gentil, notamment face à ses collègues, et un brin sensible: on le sent soucieux de sa famille, autant sinon plus que de sa carrière: l'essentiel pour lui est de conserver son poste, malgré d'inquiétantes rumeurs de fusion, et non de prendre du galon dans l'entreprise.
Serait-il même timoré, ce Pascal? Il y a en effet une constante dans sa vision du monde: le calcul des risques, à tout moment et à tout propos. Sur le nombre, le lecteur va forcément se reconnaître dans l'une de ces craintes: infections nosocomiales à l'hôpital, drogue, accidents domestiques, violence domestique, risques liés à l'usage de l'ordinateur, etc. Parfois aussi, il va se dire que Pascal exagère; dès lors naîtra l'impression qu'à force de voir le risque partout, on joue à se faire peur - quitte à ne plus distinguer les vrais risques de ceux infimes, voire fantasmés.
L'auteur met en scène des personnages forts, aux caractères nettement dessinés, quitte à paraître caricaturaux. La figure de Lionel, grande gueule et dragueur à succès vantard, s'avère exemplaire ici; l'auteur excelle à le rendre agaçant... et à faire sentir au lecteur, qui rira jaune peut-être à certaines répliques, ce que peut ressentir un être normal comme Pascal. Il donne aussi des voix bien caractérisées à ces personnages: l'auteur va jusqu'à imiter les accents, avec des bonheurs divers: si ça claque bien chez Lionel, c'est un peu lourd chez d'autres.
"Principe de précaution" n'est pas un roman à l'intrigue massive, mais plutôt une chronique du quotidien banal de Pascal et de son petit monde, entre chicanes du métier et vie familiale sinueuse - de petits riens pour une vie ordinaire, en somme. Cela, même si l'on sent imperceptiblement monter, au fil des pages et surtout vers la fin, une tension sourde qui doit se résoudre. Surtout, ce roman constitue le portrait corrosif et réussi d'une époque complexe, anxiogène, en proie à un malaise pas toujours évident à saisir mais que l'auteur arrive à capter à sa manière: la nôtre.
Matthieu Jung, Principe de précaution, Paris, Stock, 2009.
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