Défi Premier roman.
"Tout ça, c'est à cause de la neige qui n'en finissait pas de tomber. Moi j'avais que des bonnes intentions. Je voulais l'aider, rien de plus." Ce "je", c'est Jean, celui qui tiendra le crachoir tout au long de "Trop tard pour mourir", premier roman d'Yves Gaudin. Un écrivain pour qui l'année 2015 aura été faste: en plus d'entrer en littérature, cet auteur suisse, musicien et directeur de fanfare, a soutenu avec succès et mention "très honorable" sa thèse de doctorat sur la musicothérapie à l'université de Nice il y a une dizaine de jours. Félicitations!
Et à le lire, force est de constater qu'il connaît la musique. Son personnage a une voix, c'est indéniable - une voix qui colle à la peau de ce bonhomme nommé Jean, emprisonné malgré lui dans un conteneur en partance pour des terres lointaines. L'écrivain excelle à moduler cette voix: il lui arrive d'être canaille, de flirter avec un langage populaire lorsqu'il est question d'une vie de célibataire en délicatesse avec la loi. Elle se fait lyrique, voire emphatique, lorsque les sentiments amoureux prennent le dessus: les femmes sont au pluriel dans l'existence de Jean. Et lorsque surviennent les vertiges, les pertes de connaissance, la ponctuation s'en va, laissant le lecteur plonger en apnée.
Une apnée qui rappelle l'un des métiers de Jean: il a été scaphandrier. Sa plus grande plongée est cependant dictée par l'enfermement dans un conteneur, évoqué ci-dessus, où l'air finit par devenir rare. On ne saura pas exactement si cet enfermement est accidentel ou volontaire, et le roman ne permet jamais de trancher vraiment. L'enfermement sert de prétexte à l'évasion: alors que le lecteur peut s'attendre à un huis clos replié sur lui-même, l'auteur développe, au fil des pages, la biographie du personnage enfermé. Et laisse le lecteur libre de juger: a-t-il mérité d'être ainsi enfermé, durant 28 jours, sans nourriture, avec juste un peu de vin, quelques médicaments et pas assez d'air pour survivre?
La biographie de Jean, je l'ai dit, emprunte les méandres d'un personnage en délicatesse avec la loi: il a tué. L'auteur dessine les silences et les non-dits qui résultent d'une telle action, peignant en creux la difficulté de l'anonymat lorsque l'on contrevient à la loi: il est question de regards de travers, d'incrédulité face à un parcours mensonger: Jean a-t-il fait les études pour lesquelles il est parti vers la grande ville?
Parti... "Trop tard pour mourir" peut dès lors être vu comme un roman de la fuite. Si pénible qu'il paraisse au narrateur, le départ pour Paris a quelque chose qui soulage, comme une prise de distance envers des erreurs de jeunesse mal assumées et qui trouveront leur dénouement en fin de roman. Face à l'homicide aussi, partir pour l'Afrique paraît une solution. Et face aux juges, la langue de bois du prévenu a également tout d'une fuite face aux responsabilités. Fuite inefficace, bien sûr... Enfin, l'ultime départ a tout d'une fuite - comme si partir à deux pour un étranger lointain pouvait donner à un couple en perdition un nouveau départ. Illusion, selon l'auteur...
Roman d'aventures vécu dans un conteneur, plaidoyer pro domo d'un misérable présenté au lecteur seul apte à juger, "Trop tard pour mourir" est aussi un ouvrage au travail stylistique remarquable, toujours au plus près de son sujet, où la musique des mots se télescope avec celle de l'opéra, où "La Bohème" de Puccini entre en phase avec les âmes grises d'aujourd'hui. C'est aussi une belle réflexion autour d'un personnage qui a toujours privilégié la fuite... jusqu'à ce que, au moment où il s'y attend le moins, elle s'avère sans issue.
Yves Gaudin, Trop tard pour mourir, Fribourg, Faim de Siècle, 2015.