Lu par Atasi, Cassiopée, Fantastikindia, Jostein, Laurent, Lecture-Ecriture, Sibylle.
Défi Polars et thrillers.
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Un policier atypique pour un cadre qui ne l'est pas moins. Borei Gowda mène l'enquête à sa manière. On sait qu'il aime le rhum. Qu'il fait des erreurs. On dit aussi qu'il a un sixième sens. Celui-ci sera mis à rude épreuve dans "L'inconnue de Bangalore", roman policier de l'écrivaine indienne Anita Nair.
Qui est l'homme qui se maquille en début de roman? L'auteure installe un climat de mystère extrême autour de ce bonhomme, qu'elle présente pour ainsi dire en gros plan, en ayant soin d'en dire assez, ou assez peu, pour intriguer. Intéressant! Mais le lecteur devra faire l'effort de rentrer dans le monde mis en place par l'écrivaine. S'y côtoient cet homme qui se travestit, un gaillard qui tient à respecter le jeûne du ramadan et quelques eunuques. Certes, c'est l'Inde dans toute sa diversité; mais il faut un moment pour que le lecteur comprenne le lien, certes indiscutable, entre tous ces personnages.
Trouble dans le genre
Quelques eunuques, ai-je dit. Partie prenante de la société indienne, ils occupent dans "L'inconnue de Bangalore" une place particulière: ils/elles troublent la frontière entre les genres. Un trouble grammatical d'abord, puisqu'on en parle généralement au féminin, sauf quelques exceptions. C'est un choix assumé et argumenté de la traductrice, Dominique Vitalyos; pour un lecteur francophone, c'est aussi le signe d'une zone grise entre hommes et femmes. Le roman en joue, d'ailleurs, en dépeignant les conditions de vie de ces personnes.
Trouble dans les genres également avec le titre de ce roman, dans sa traduction française: "L'inconnue de Bangalore" est-elle une femme, un homme ou autre chose? La traductrice installe ici, et c'est bien joué de sa part, un élément supplémentaire, troublant, de suspens.
Une certaine vision de Bangalore...
Quelle vision de Bangalore l'auteure renvoie-t-elle? Le lecteur va se retrouver dans un monde de contrastes, présentés comme naturels: d'un côté, il y a la promesse d'un avenir dans l'informatique pour certains personnages; de l'autre, l'auteure met en scène les particularités de plusieurs religions qui se côtoient à Bangalore, d'une manière qui peut surprendre - en particulier pour ce qui concerne la procession chrétienne, toute colorée de safran, qui intervient en fin de roman.
Il y a aussi la corruption, et la valeur donnée à une vie humaine enlevée de manière criminelle, qui impose aux policiers du roman, Gowda en tête, de justifier leur volonté d'enquêter. Enfin, la nourriture est très présente. Pour le meilleur, elle contribue à la note sensuelle appuyée qui baigne "L'Inconnue de Bangalore"; pour le pire, l'auteure révèle que le biriyani peut être un vrai supplice. Tout cela est dit de manière factuelle, distante presque, à la manière de choses vues, sans jamais tomber dans le jugement.
... et de la police
L'enquête s'achève de manière tragique. Cela, au terme d'une intrigue organique que l'auteure fait évoluer avec souplesse, avec des détours inattendus dictés par le contexte de Bangalore. Il y a certes de quoi être désarçonné par un démarrage lent qui privilégie les gros plans plutôt que les liens entre éléments d'intrigue. Peu à peu, cependant, le puzzle se met en place. Et si le début est lent, la fin ralentit de la même manière... avec un effet saisissant: on finit par en redemander.
Anita Nair, L'Inconnue de Bangalore, Paris, Albin Michel, 2013, traduction de Dominique Vitalyos.
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