Lu par Anouchka, Clarabel, Clochette, Dédale, L'ivresse des mots, Ma planète, Papillon, Pascale Arguedas, Pimpi, Soukee, Tu lis quoi?.
Toute la photo en un clin d'oeil. Avec "Il ne vous reste qu'une photo à prendre", l'écrivain Laurent Graff signe un roman court qui fait le tour des aspects les plus connus de la photographie et en suggère une certaine philosophie. Par sa brièveté, son livre fait figure d'instantané; mais que de choses au fil des pages!
Le titre annonce la couleur, l'incipit introduit un léger trouble: "J'ai cessé de prendre des photos il y a vingt ans, après la mort de M." L'essentiel est dit: nous aurons affaire à un roman qui tourne autour de l'image, de l'instantané. Ce que confirme une narration qui n'hésite pas à donner la priorité au visuel, que celui-ci prenne la forme de belles images touristiques de Rome ou de la recréation d'un univers plus flou, dès lors que le personnage principal du roman entre dans un jeu étrange intitulé justement "Il ne vous reste qu'une photo à prendre".
Ce jeu part d'un postulat: et si c'était la dernière? Réminiscence des films argentiques à la capacité limitée à 24 ou 36 poses, il met en scène le côté rituel de la photographie tel qu'il était avant l'émergence des téléphones portables, des appareils photo numériques et de leurs capacités infinies - un aspect théorisé dernièrement par Roberto Casati. Cette ritualisation est portée à l'extrême par le caractère ultime de la photo à prendre: les joueurs prennent leur temps pour trouver la meilleure photo, soudain conscients de la valeur d'un déclic. Et si c'était la dernière photo de leur vie?
Les clichés (!) liés à la photographie sont présents dans "Il ne vous reste plus qu'une photo à prendre". De manière attendue, par exemple, on trouvera dans l'entourage du narrateur un touriste japonais et une top-modèle. Chacun a vécu une partie de sa vie d'un côté ou de l'autre de l'objectif. On a aussi des personnages soucieux de leur image, et le décor touristique, mille fois photographié, de Rome. Les descriptions sont légères et visuelles, et s'attardent en particulier sur les gens qui jettent des pièces dans la fontaine de Trevi.
A cela viennent s'ajouter les relations amoureuses du narrateur, faites de souplesse: sa compagne l'est parce que c'est ainsi, sans rituel, et le narrateur n'hésite pas à l'éloigner, ce qui se passe tout naturellement, pour entrer dans l'univers décalé qu'impose le jeu. Le souvenir d'une ancienne amie trop tôt défunte fait de ce narrateur un personnage empreint de tensions. La réception d'un nouvel appareil en fin de roman, dans des circonstances qui doivent tout à la chance, va-t-elle libérer le narrateur et le réconcilier avec la photographie, sur laquelle il paraît faire un blocage? C'est ce que suggère la dernière phrase d'un roman porté par une écriture sobre, mais efficace et vectrice d'un riche message.
Laurent Graff, Il ne vous reste qu'une photo à prendre, Paris, Le Dilettante, 2007.