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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 22:20

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Lu par Amandine Glévarec, Francis Richard, Stella Noverraz (diable, j'arrive le dernier...)

Le site de l'auteur, celui de l'éditeur.

 

Le soir d'une vie est le dernier moment pour révéler quelques secrets. Et inciter la jeune génération à se dévoiler aussi: à force de tracer notre route, avons-nous tout raconté à nos parents, nos grands-parents, à la génération montante? "Rosa", deuxième roman de Lolvé Tillmanns, a l'ambition de percer quelques mystères autour d'une famille juive dont le terrain de jeu se balade entre Genève, Londres et le New York de Little Italy. Avec un détour dramatique par Auschwitz.

 

Ambitieux projet, en effet, que celui de relater en un peu plus de 300 pages le passé de trois ou quatre générations, passées par ce que le vingtième siècle a pu offrir de pire et de meilleur: la fortune facile des trente glorieuses et l'horreur des camps de concentration. Cela, sans oublier que le genre du vaste roman familial a ses maîtres, qu'on ne défie pas innocemment - il n'est qu'à penser à la trilogie "Le Vent du soir" de Jean d'Ormesson, évoquée en trois phases par ici (1, 2, 3).

 

Lolvé Tillmanns a choisi une esthétique de la répétition pour relater son propos, consistant à donner successivement la parole à chacun de ses personnages pour relater des tranches de vie personnelles ou communes. Le lecteur se retrouve donc confronté à la narration d'épisodes identiques, perçus à travers le regard forcément différent de chacun des personnages. Il y a du génie dans cette approche, menée avec succès par une auteure qui se glisse sans difficulté dans la peau de ses personnages, si divers qu'ils soient: un Juif orthodoxe, un producteur musical, deux artistes torturés, une voyageuse insouciante, pour n'en citer que quelques-uns. L'auteur ne va toutefois pas jusqu'à la polyphonie, soit l'ambition de donner une voix à chaque personnage, d'un chapitre à l'autre.

 

Mais même sans cela, les personnages sont tous fort bien approfondis, et deviennent si personnels que le lecteur y croit, et croit en leurs interactions, nées de détails ou d'éléments clés, voire existentiels.

 

Il est question d'art, donc: l'auteure met en scène deux artistes-peintres, l'un fils de l'autre. Il convient de noter que tous deux ont construit leur oeuvre sur un mensonge. Est-ce à dire que la romancière considère la création comme une manière de mentir? Quitte à ce que ce mensonge soit la manière retenue pour atteindre une vérité supérieure... cela, avec l'ivresse de la musique, issue des bars méconnus de New York.

 

La question de la transmission traverse "Rosa", à tous les niveaux. Le passage du roman familial est certes l'élément clé de cette saga en miniature. Mais à des niveaux inférieurs de narration, le thème est aussi présent: ainsi Mario, l'Italien qui a grandi dans le taxi de son père, découvre-t-il le jazz auprès de ceux qui l'ont fait dans les caves. Ainsi tel sage supérieur de la judéité (un "Tsadik" parmi 36 - thème exploité dans "Le dernier homme bon" de A. J. Kazinski) transmet-il ce qu'il sait de sa religion à Isaac l'intransigeant. Mais de façon fondamentale, qui est le vecteur sincère, essentiel de la judéité dans "Rosa"?

 

"Rosa" touche à des questions existentielles, au sens le plus fort du terme, et illustre la notion de transmission, présentée comme connexe. Ce roman convoque les arts pour donner corps à ces aspects, ce qui le rend particulièrement riche. il faut certes prendre le temps de s'intéresser aux personnages mis en scène, comprendre éventuellement leur généalogie; mais celui qui s'y colle sera récompensé: en compagnie de la romancière, il vivra trois cents pages riches, passionnées et surtout humaines, profondément humaines, d'Auschwitz à Londres et de Genève à New York.

 

Lolvé Tillmanns, Rosa, Genève, Cousu Mouche, 2015.

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