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13 septembre 2015 7 13 /09 /septembre /2015 14:31

Urech Valets"Les Valets de nuit" a valu à Marie-Jeanne Urech le Prix Rambert 2013. Récompense méritée! Présent à sa remise organisée à Lausanne par la section locale de la société d'étudiants de Zofingue, j'avoue avoir été intimidé par la présentation érudite qui a été faite de ce roman. Il m'a fallu du temps pour oser enfin m'y plonger... et retrouver enfin, avec bonheur, les mondes nocturnes et oniriques chers à la romancière et cinéaste vaudoise. C'est que chacun de ses romans est un univers en soi, si bref qu'il soit.

 

Le lecteur des "Valets de nuit" sera séduit par un univers proche du sien. Proche, mais pas égal: l'auteure a le chic pour y introduire un décalage qui suffit à le rendre rêvé, plus séduisant que la réalité dans laquelle nous vivons. Ainsi, dans "Les Valets de nuit", le manteau de neige qui recouvre la ville où se tient l'action (et qui pourrait être Cleveland) lui donne-t-il une allure faussement rassurante.

 

Les apparences sont trompeuses, en effet. Baigné d'atmosphères nocturnes, "Les Valets de nuit" se construit sur des rapports de force. Il y a d'un côté des nantis sans visage dont le palais est un building éclairé artificiellement, et de l'autre des gens ordinaires, pris à la gorge, contraints de travailler 24 heures sur 24 pour faire face à des échéances financières de plus en plus problématiques. Le lecteur est en droit de penser à l'actualité: "Les Valets de nuit" a paru dans le sillage des crises qui se sont succédé depuis 2008, subprimes, crédit, etc.

 

Les personnages du roman sont attachants, quels qu'ils soient. Figure emblématique de ces "valets de nuit" qui finissent par vous réclamer les clés de votre logement, le commissionnaire devenu huissier puis commissaire-priseur constitue une belle construction littéraire. Sa bosse est constituée des centaines de documents que les débiteurs sont obligés de signer pour obtenir une paix pour le moins provisoire. Cette bosse augmente, jusqu'à ce que le bonhomme ne puisse plus la supporter. On peut voir là l'image d'une responsabilité qui devient trop lourde, inhumaine: celle d'annoncer sans relâche et sans merci les mauvaises nouvelles, de mettre les gens à la rue, etc.

 

Le lecteur relève aussi les figures familières de Zibeline et Yapaklou, les enfants. Leur rôle dans le récit est significatif, suggérant que les enfants sont la promesse d'un monde meilleur, ou en tout cas pas pire: ce sont eux qui parviennent à trouver une cachette pour leurs propres affaires, éventuellement ouverte à leur famille, dans le cadre d'un distributeur de frites. Jolie trouvaille que ce distributeur, d'apparence minuscule mais immense à l'intérieur, et tenu par un géant débonnaire et plutôt souple. A contrario, les enfants reproduisent à petite échelle ce que font les adultes, pour le plus difficile et le plus beau: la musique du violon de Zibeline fait écho au chant de Philanthropie, la cantatrice obèse et obsédante qui occupe le sofa du salon. Tout cela pour obtenir un sou, peut-être: c'est le début de l'asservissement par le travail.

 

La justice saura-t-elle naître dans le monde créé dans "Les Valets de nuit", caractérisé par la désindustrialisation, les inégalités et les rapports de force? Les Eglises sauront-elles manoeuvrer dans ce sens? S'il présente un monde impossible, onirique et un peu fou, le roman de Marie-Jeanne Urech pose des questions sur le monde tel qu'il va, en recourant volontiers au décalage, à la caricature fine ou vigoureuse. Volontiers visuel, riche en couleurs, "Les Valets de nuit" sait à la fois séduire et déranger.

 

Il était temps de lire "Les Valets de nuit", d'ailleurs. Dans le cadre de la rentrée littéraire suisse romande, Marie-Jeanne Urech publie ces jours-ci son prochain roman, "L'ordonnance respectueuse du vide", toujours aux éditions de L'Aire.

 

Marie-Jeanne Urech, Les Valets de nuit, Vevey, L'Aire, 2013. Préface de Pierre-Yves Lador.

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