Lu par Georges Vigreux, Letteratura, The Big Boss, Thrillermaniac, Wanda.
Défi Thriller-Polar.
Depuis quelques années, des hommes et des femmes de bonne volonté meurent partout dans le monde, d'une manière mystérieuse, marqués d'un symbole étrange dans le dos. Fondé sur un ample et solide substrat ésotérique, présent sans être jargonnant, "Le dernier homme bon" est un thriller dont les pages se tournent toutes seules, comme on les aime. A. J. Kazinski est son auteur; deux écrivains danois se cachent derrière ce pseudonyme, Anders Rønnow Klarlund et Jacob Weinreich. "Le dernier homme bon" est le fruit de leur première collaboration.
Conscients de la force des mythes et des légendes et de la fascination que le religieux peut exercer sur le grand public, les auteurs construisent leur vaste récit sur le mythe juif des 36 hommes justes qui veillent en permanence sur l'humanité: que l'un d'eux disparaisse, et l'avenir de l'humain est compromis. Alors, s'ils s'éteignent l'un après l'autre, chacun à une semaine d'intervalle, de manière apparemment criminelle, il y a péril en la demeure!
Le lecteur peut s'interroger sur la présence d'une histoire d'expérience de mort imminente en guise de prologue. Là aussi, c'est accrocheur, et fouillé dans le cadre du roman. Etait-ce indispensable? Pas forcément, sauf si l'on admet que les auteurs ont choisi d'aller voir derrière l'un des éléments clés d'un bon thriller: la mort de certains personnages. Que vivent les cadavres, au fond? Curieuse question, trop rarement posée dans la littérature policière...
Il y a aussi de quoi s'interroger sur le fait qu'à l'ère d'Interpol, personne dans le roman n'ait fait le rapprochement entre ces décès fort similaires afin de trouver le coupable. Seuls deux enquêteurs, l'un à Venise, l'autre à Copenhague, ont l'ambition de percer ce mystère. Qui est l'assassin? Les auteurs lui réservent une forme assez étrange qui permet de rendre crédible le désintérêt des polices institutionnelles face à ces morts, qui paraissent survenir avec une logique qui fait penser à un tueur en série classique (mais très efficace).
Sur plus de 700 pages, les auteurs savent aussi se montrer généreux en fausses pistes qui leurrent le lecteur: qui sera la prochaine victime? Que fait ce terroriste islamiste à Copenhague? Et pourquoi tel représentant d'une ONG est-il atteint d'un malaise subit? Ce jeu des fausses pistes dénote parfois aussi un certain humour, en particulier lorsque la police débarque chez des victimes potentielles qui avouent spontanément d'anciens délits, croyant être recherchées à ce propos... A chaque fois, le lecteur y croit.
Si le roman passionne, c'est aussi parce que les auteurs laissent à leurs personnages la possibilité d'exprimer leurs forces et leurs fragilités - leur complexité, en un mot. On sent par exemple Hannah, scientifique à quotient intellectuel élevé, rayonner dès qu'elle met au jour le système qui préside aux décès; mais on la voit désemparée dès lors qu'il s'agit de se confronter au réel. Cela dit, le lecteur pourra ressentir une certaine lassitude face à l'évolution de l'alternance entre situations: d'un rythme multipolaire complexe (premier livre), on passe à un rythme binaire plus banal où seuls Hannah, l'astrophysicienne, et Niels, le policier, assurent le spectacle du côté de Copenhague.
Enfin, "Le dernier homme bon" a pour fond la conférence de Copenhague de 2009 sur le climat. Trahissant une certaine sensibilité politique, les auteurs en profitent pour glisser mine de rien quelques allusions distanciées, entre un Barack Obama qui occupe tout l'espace et des réflexions peu amènes sur Silvio Berlusconi et son entourage. Malgré quelques réserves, "Le dernier homme bon" est donc un roman assez riche et accrocheur pour que le lecteur fasciné le dévore, littéralement, et fasse défiler ses courts chapitres haletants à une vitesse folle.
A. J. Kazinski, Le dernier homme bon, Paris, Le Livre de Poche, 2014. Traduction de Frédéric Fourreau.
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