La recherche de l'or bleu, quasi alchimique, est-elle soluble dans les relations d'un homme avec ses semblables? Et réciproquement? Jusqu'où la confiance doit-elle aller? L'écrivain valaisan signe avec "Le bleu de l'or" un roman solide et passionnant, lancé sur un ton sensuel et porté, sur la distance, par un certain suspens et une analyse fine et approfondie des âmes et de la psychologie.
Le ton est donné dès le premier paragraphe: la vie des sens, lieu d'extases, constitue une constante de "Le bleu de l'or". Tout commence avec les premiers émois du narrateur, adolescent, face à une page de calendrier. Pour bien ferrer son lecteur, l'auteur, astucieux, monte cette scène initiale de manière à ce que le lecteur ne comprenne que progressivement de quoi il retourne. A cela vient s'ajouter un parfum de culpabilité et de secret... De ce point de départ, l'auteur va dériver vers les érotismes classiques et ceux qui le sont moins, allant jusqu'à plonger dans le monde des donjons SM et des "dominae".
Tout cela ne serait rien si ce n'était sous-tendu par une fine observation des âmes, réalisée avec succès par un auteur lui-même psychologue. Les dialogues sonnent vrai, les personnages interagissent de façon crédible. Le choix d'une narration à la première personne, qui donne la parole à un joaillier genevois en perte de vitesse, est en outre propice à l'introspection: Thomas, puisque c'est de lui qu'il s'agit, ne manque jamais de s'interroger sur sa vie, sur ce qui va advenir, sur la vérité enfin: ce qui lui arrive, chantage, ruine, vol, deuil, a tout l'air d'un complot. Et si Thomas, en définitive, n'était la victime que... de lui-même?
Cela va très loin, quitte à flirter avec certains méandres méconnus des neurosciences, en particulier la neurothéologie, qui permet à l'auteur de faire dériver son roman vers un mysticisme débridé... mais parfaitement explicable d'un point de vue scientifique, certaines extases étant par exemple liées à des formes d'épilepsie. Cela fait écho aux théories de Carl Gustav Jung, qui irriguent ce roman. Complexe? Non: l'auteur, passionné de vulgarisation scientifique, excelle à amener ces aspects sans jamais se perdre ni jargonner. Et en fin de roman, il propose quelques explications sur ses fondements théoriques.
Quant aux lieux, la Suisse romande est le terrain de jeu des personnages. Genève se présente comme un port d'attache. Le Valais, où réside un vigneron, fait figure de pôle des plaisirs de bouche, alors que Fribourg apparaît comme un pôle spirituel, dans la mesure où c'est là que vit le frère de Thomas, prêtre à l'âme tourmentée. Les lieux sont décrits de manière plus ou moins précise, et ne quittent jamais un léger flou artistique: certes, l'auteur sait décrire des lieux connus comme le Pérolles, fameux restaurant de Fribourg qui existe vraiment, mais le couvent Saint-Antonin, dans la même ville, paraît être une invention.
Nourri d'un suspens qui n'a rien à envier à celui d'un thriller, "Le bleu de l'or" est, enfin, un beau roman sur la confiance en soi, pas toujours évidente à conserver face aux épreuves. Des épreuves qui naissent des nécessaires rencontres. Lesquelles sont hostiles, lesquelles sont bienveillantes? L'auteur organise un tourbillon captivant au coeur duquel Thomas, le joaillier, devra apprendre à mieux se connaître et retrouver ses marques, entre faux semblants, jeux de masques et d'apparences menés de main de maître.
Daniel Cordonier, Le bleu de l'or, Lausanne, Favre, 2015.
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