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29 mai 2015 5 29 /05 /mai /2015 21:23

hebergement d'imageIl y a comme ça des livres qui vous intriguent rien qu'avec un titre. Et alors qu'aujourd'hui, la mode est aux titres interminables, le titre "Le Mège" détonne par sa concision et par son sens: qu'est-ce qu'un mège? C'est ainsi que l'écrivain jurassien Jean-Paul Pellaton (1920-2000) a choisi d'intituler l'un de ses romans majeurs, paru en 1993, lauréat du Prix Schiller, réédité tout dernièrement par les éditions Plaisir de lire - que je remercie de m'avoir remis un exemplaire de ce vaste roman. Heureuse initiative que de l'avoir fait revivre!

 

Qu'est-ce qu'un mège, en effet? Telle est la première question que se pose le lecteur en ouvrant ce roman historique. La quatrième de couverture donne une définition de ce vieux mot: "Un mège, en français archaïque, est un médecin généraliste de type ambulant, à demi autodidacte, généralement amateur de plantes, un peu alchimiste pour ne pas dire sorcier, rebouteux ou guérisseur, plutôt que médecin." Xavier Miécourt répond globalement à cette définition. Découvrant par hasard un talent de guérisseur, il va l'approfondir en partant de son Jura natal, ce qui va l'amener à diverses rencontres qui l'amèneront plus loin. Et lorsqu'il arrive à Paris, la Révolution française éclate.

 

Sans être exact d'emblée, l'ancrage historique, ancien, est indiscutable. Certaines pages donnent libre cours aux interactions entre humains, et laissent la peinture historique au deuxième plan, ce qui donne au "Mège" un franc parfum d'intemporalité. Si l'époque est marquée, c'est le plus souvent en arrière-plan: il est question de la prise de la Bastille, mais la participation de Xavier Miécourt à ce moment est mineure. D'un autre côté, il sera aussi question de sectes religieuses, un personnage faisant immanquablement penser aux anabaptistes, dont la tradition trouve ses sources dans les régions mises en scène par l'auteur. Et globalement, le lecteur retiendra des ambiances historiques, plutôt que des faits - même si la Révolution française est montrée au travers de son événement le plus marquant, la prise de la Bastille. L'auteur échappe ainsi aux contraintes que pourraient impliquer une action trop prégnante sur l'histoire.

 

Côté figures historiques, il sera question en particulier de Franz Anton Mesmer, père du magnétisme animal, qui suscite l'intérêt de Xavier Miécourt. En évoquant cette figure, même si c'est de façon peu engageante, l'auteur du "Mège" inscrit son ouvrage dans une tradition balzacienne qui s'intéresse à la médecine et à ses variantes - il est permis de penser à "Ursule Mirouët". De manière plus générale, d'ailleurs, l'auteur excelle à recréer un moment de l'histoire de la médecine, où convergent et se confrontent un certain nombre d'approches, traditionnelles ou modernes, de la manière de soigner l'humain. L'auteur ménage une rencontre entre Miécourt et Mesmer à Paris, mais il n'en sortira pas grand-chose, d'autant plus que Mesmer est présenté sous un jour antipathique. On peut voir ici à un procédé déceptif cruel: l'auteur refuse de faire de la rencontre entre Mesmer et Miécourt le point le plus fort de son roman. Ce n'est pas bête: dès lors, le lecteur est contraint de chercher un intérêt ailleurs.

 

Il est tentant de lire "Le Mège" comme un roman picaresque, ce que suggère d'ailleurs le prière d'insérer. Cette étiquette est cependant abusive: un roman picaresque donne la parole, à la première personne, à un bon à rien à la morale élastique, et qui se débrouille toujours. Or, Xavier Miécourt se présente plutôt comme un médecin habile quoique atypique, doué d'une certaine éthique (voir le chapitre "Amélie"), doté d'un second métier mais guère soumis aux impondérables qui sont le lot d'un vrai picaro. Surtout, "Le Mège" n'a guère d'ambition satirique et ne s'attarde guère sur les bonnes fortunes amoureuses de son personnage principal - sans pour autant les gommer totalement. Reste que Xavier Miécourt et le picaro typique ont un point commun: ils voyagent et apprennent.

 

Dès lors, il est préférable d'y voir un roman d'apprentissage mettant en scène un jeune homme confronté à son temps et désireux d'aller plus loin. Le première chapitre met le lecteur sur la piste en suggérant le refus du déterminisme: non, Xavier Miécourt ne sera pas menuisier parce que son père l'est. A la manière d'un fou du roi, c'est un artiste de cirque qui révèle Xavier Miécourt à lui-même, en lui disant franchement ce qu'on n'oserait pas dire autrement. Et plus tard, ce sont des rencontres qui vont faire de Xavier Miécourt, figure informe en début de roman, un être humain accompli et prêt à affronter l'âge adulte, ses servitudes et ses splendeurs.

 

Tout commence et finit à Miécourt, à la manière cyclique d'un tour de France des compagnons abrégé. Les lieux sont précisément indiqués: connaisseur de la géographie de son roman, l'auteur indique chaque lieu-dit et fait usage de patronymes locaux. Quant au style, il s'avère classique et fluide, intemporel pour tout dire. L'auteur a le bon goût de ne pas y glisser d'archaïsmes voyants ni de mots du cru qui détonnent. Loin de chercher à recréer une langue à la façon d'un Ramuz, il se trouve à l'aise dans un style au classicisme solide et va jusqu'à user régulièrement de métaphores pour installer, au détour des pages, une indéniable poésie qui ne vieillit pas.

 

Jean-Paul Pellaton, Le Mège, Lausanne, Plaisir de lire, 2015.

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