Un chien comme narrateur: l'expérience a déjà été tentée. En 2004, avec "Os", l'écrivain Louis Lerne baladait son canidé, Liebe, dans un monde d'épicuriens, observés avec un regard distancié, nourri de références antiques. Avant lui, en 2000, Annick Mahaim lâchait son chien, Léon, dans une enquête en Chine: c'était "Zhong". C'est dans cette tradition que s'inscrit le deuxième roman de Pierre De Grandi, "Le tour du quartier" - qui donne lui aussi la parole à un chien.
Le lecteur est vite mis au parfum. Le chien mis en scène par Pierre De Grandi n'a pas de nom - on le désigne de manière fluctuante, de manière dérisoire: c'est "le chien", "Duchien", etc. dans toutes les variantes possibles, comme si l'auteur suggérait que personne, pas même sa maîtresse, ne connaît vraiment l'animal. Reste que la bête a du flair. Dès lors, les références à l'odorat deviennent une constante du roman "Le tour du quartier". Et l'auteur parvient à se mettre dans la peau du chien, avec succès: les odeurs qui paraissent agréables à l'homme ne le sont pas forcément pour l'animal. De même, les messages odorants laissés çà et là sous forme d'urine jouent leur rôle dans ce petit livre.
Loin d'être cabotin, le chien que l'auteur met en scène est philosophe. Cela vaut au lecteur quelques réflexions fort savantes, fort humaines au fond, sur le monde, et des digressions sur la psychologie canine. La technicité de certains passages trahit le métier de médecin de l'auteur, au moins autant que le goût du chien pour les belles théories - celles qui comparent l'humain et le chien. Ces comparaisons ont l'intelligence de ne pas affirmer de manière péremptoire la supériorité de l'animal sur l'humain: le propos mise sur la complémentarité et sur un jeu habile de concessions entre l'animal et un maître reconnu et accepté comme tel.
Voilà pour le personnage éminemment sympathique que l'auteur met en scène! Reste que "Le tour du quartier" peine à lui donner un rôle à sa mesure. Le lecteur regrette en particulier l'absence de tension, due avant tout à l'absence de véritable antagoniste: il n'y a pas de méchant dans "Le tour du quartier", ce qui laisse l'impression d'un simple roman des bons sentiments, un poil court en bouche après "Yxsos", premier roman très fort de l'auteur. Quant au rythme du récit, il paraît uniforme et un peu lent, ennuyeux parfois, comme si le chien s'écoutait parler. Enfin, il aurait été appréciable, savoureux même, que certaines péripéties soient exploitées plus avant, par exemple l'incursion du chien dans une cage à poules.
Qu'y a-t-il à croquer dans "Le tour du quartier", alors? En plus de côtoyer un personnage de chien réussi bien que sous-employé, les amateurs de beau langage seront servis: l'auteur fait usage d'une langue poétique et opulente à souhait, qui exploite avec pertinence tous les registres de langage, sans craindre de s'encanailler. Cela réserve quelques belles pages de description qui donnent au lecteur le goût sensuel, sucré et insouciant des régions ensoleillées du sud. Comme quoi le tour du quartier peut mener loin, pour peu qu'on prenne le bus... ou qu'on s'intéresse aux autres, ce qui vaut bien un bon voyage.
Pierre De Grandi, Le tour du quartier, Lausanne, Plaisir de lire, 2015.
Les ouvrages cités:
Annick Mahaim, Zhong, Vevey, Editions de l'Aire, 2000.
Louis Lerne, Os, Paris, La Différence, 2004.
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