Que voilà un petit livre atypique: "Cadavres" est l'oeuvre conjointe de l'écrivain vaudois Pierre-Yves Lador et du dessinateur Nicolas Sjöstedt. Sobre, prosaïque, le titre annonce la couleur sans lyrisme déplacé: il sera question de morts, auxquels il est rendu un double hommage, celui du dessin et celui de la poésie. Cela, avec un bonheur indéniable.
Pierre-Yves Lador a mis des mots sur une série de dessins qui sont autant d'études d'un champ de bataille, destinées à un récit sur le faux-monnayeur Farinet. Ce sont des civils, et le lecteur leur trouvera volontiers une histoire plus large que l'idée de départ. C'est peut-être la Commune de Paris, ou telle autre guerre civile, comme il y en a trop dans notre monde. Le coup de crayon de Nicolas Sjöstedt offre à ces défunts croqués une nouvelle vie, une nouvelle identité: à plus d'une reprise, le lecteur va se demander s'il est vraiment en présence du dessin d'un cadavre. Mais oui: chaque page de "Cadavres" est illustrée... d'un dessin de cadavre.
Ces potentialités, cette envie de voir autre chose qu'un cadavre dans chaque dessin, d'interpeller aussi, le poète Pierre-Yves Lador les explore. Son regard a la force de l'évidence: tel personnage recroquevillé ressemble à un foetus ou à un bébé qui suce son pouce, tel autre paraît prier. Et les mots pour le dire arrivent, riches. Ce ne sont que quelques phrases, quelques vers; parfois, l'auteur s'approche du haïku, court, dense et fulgurant.
Dense, oui. Parce que l'auteur va aussi chercher les petits mots qui sont dans les grands afin d'ébaucher ses histoires, de suggérer ou de conjurer la mort. Les glissements sémantiques sont légion aussi, comme si le poète avait choisi de surfer sur la langue française pour lui faire rendre toute sa sève. Le lecteur est frappé par le côté pertinent, sans cesse changeant, de chaque morceau de texte, taillé sur mesure pour chaque dessin. Les références littéraires sont présentes aussi: on entendra résonner "Nous partîmes cinq cents..." à un coin de page, et l'ombre du Dormeur du Val se profile aussi. Celui qui le voudra, enfin, percevra quelques allusions historiques.
A quatre mains, Nicolas Sjöstedt et Pierre-Yves Lador ont concocté avec "Cadavres" un livre dense et épatant, où se mêlent la poésie des crayons et celle de la plume. Une plume qui évoque la mort avec esprit, sans doute pour conjurer l'inquiétude qui peut naître en chacun de nous à l'idée de l'inéluctable.
Nicolas Sjöstedt et Pierre-Yves Lador, Cadavres, Vevey, Hélice Hélas, 2014.
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