Lu par Moon.
Défi Premier roman.
Le premier roman de Sylvia Hansel se présente comme une éducation sentimentale moderne, vue à travers le regard de la principale intéressée. "Noël en février" invite en effet le lecteur à se mettre dans la peau de Camille, une fille aux airs tout à fait ordinaire qui achève son lycée, se cherche mollement et est pilotée par son amour pour l'insondable Mathieu.
En exploitant à fond les ressources d'une écriture à la première personne du singulier, l'auteure crée avec Camille un personnage crédible et familier jusque dans ses fluctuations. Le lecteur se positionne face à elle comme s'il s'agissait de quelqu'un de réel: en dévoilant Camille de la sorte, l'auteure accepte le risque qu'on déteste son personnage. Mais le détester, ce sera encore y croire: la lycéenne Camille est là, tout entière, avec son caractère, ses demi-teintes et ses paradoxes. Elle est humaine jusque dans ses imperfections et dans sa complexité: sa construction paraît organique, intuitive, loin des leçons d'écriture trop rigides qui ordonnent de conférer "trois qualités et trois défauts" à chacun de ses personnages. Une condition indispensable pour tenir 256 pages!
Reste une constante pour Camille: son seul but dans la vie, c'est Mathieu. Celui-ci aussi est construit d'une manière complexe, mais l'approche est différente, construite sur les regards portés sur lui. Là, l'auteure joue sur deux tableaux et crée un contraste. Il y a d'un côté le regard irrémédiablement amoureux de Camille, qui accepte ou minimise les défauts, magnifie les qualités, voit le bonhomme comme un demi-dieu - comme "LE" garçon. Une vision qui fait contraste avec le regard des autres sur Mathieu: c'est un gars quelconque, voire bizarre, en tout cas pas fréquentable. En le présentant comme un bonhomme solitaire, plongé dans ses livres, l'auteure va jusqu'à faire de Mathieu une espèce de héros romantique revisité.
"Noël en février" se présente comme une éducation sentimentale... et cette annonce n'est pas fausse. Mathieu fait figure de personnage inaccessible, de bonheur qu'on pourchasse de peur qu'il ne se sauve. Dès lors, Camille est tentée par des expédients et errements. L'auteure glisse dès lors volontiers dans le secteur peu clair de l'extrême droite éventuellement catholarde (personnage de Grégoire), ou des hommes gentils mais sans relief (Sébastien). Privilégiant la nuance, l'auteure a l'intelligence de ne pas charger Grégoire et Sébastien plus qu'il ne le faut. Elle échappe ainsi en grande partie à la caricature facile, à laquelle le thème de l'extrême droite à front de taureau pourrait se prêter a priori.
Mais au terme de cette éducation sentimentale, qu'a-t-on? Un suicide... mais de qui? L'auteure ménage une fin ouverte, solide et habile à la fois, laissant en suspens la question du bonheur qui fuit dès qu'on est sur le point de le saisir. Le lecteur est cependant préparé à cette issue. En effet, "Noël en février" a des allures de partie de poker permanente: il demande sans cesse à Camille si elle préfère viser Mathieu, présenté comme un absolu inaccessible (géographiquement, humainement, etc.), ou se contenter de Grégoire ou Sébastien, médiocres voire navrants mais accessibles sans peine, et garants d'une vie de couple et de famille acceptable pour peu que les exigences soient basses. Reste que si Camille a bien une qualité, c'est qu'elle est déterminée...
Dès lors, ce "Noël en février" est le titre métaphorique d'un bonheur impossible - emprunté à Lou Reed et à sa chanson "XMas in February". "Cours-y vite", aimerait-on dire. Mais il n'est pas question de romance ici. L'auteure fait évoluer son roman dans un univers désenchanté, où coexistent l'alcool à outrance, le viol dénié et/mais accepté, les soirées minables et les divertissements misérables. Le fait que l'action se situe entre Meaux et Melun donne par ailleurs au lecteur l'impression que tout se déroule à deux pas de la perfection parisienne... mais que ces deux pas font toute la différence entre l'extase de la capitale (matérialisée par la rencontre fortuite, a priori impossible, entre Camille et Mathieu) et le bourbier de la province - même si elle est presque Paris.
Le ton adopté, enfin, est crédible. L'auteure excelle à se mettre dans la peau de Camille, teenager en fin de course qui ne sait pas par quel bout empoigner l'existence. Il y a de la vigueur dans l'écriture, de la générosité aussi, et un vocabulaire un brin relâché, aux teintes de blue-jean, qui confère à la narration tout le naturel dont elle a besoin. Enfin, tout se passe dans les années 1990, et celles-ci sont reconstruites, pour l'essentiel, avec un réalisme qui n'exclut pas l'humour.
Sylvia Hansel, Noël en février, Paris, Rue Fromentin, 2015, préface de Tristan Garcia.
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