Lu par Bouch', Ingrid Barnay, Lecteur compulsif, Le Fantasio, Marco, Monsieur Salade, Polars etc., Tout peut arriver.
Défi Thrillers et polars.
Pardonnez-moi si je vous interpelle à l'heure du repas, ou si vous êtes en train d'arroser vos plantes vertes: vous ne regarderez plus ces dernières de la même façon après la lecture du deuxième roman de l'écrivain américain Scott Smith, "Les Ruines". Certes, l'annonce qui dit que ce roman aurait dû être adapté au cinéma par Steven Spielberg est un brin exagérée (c'est finalement Carter Smith qui s'y est collé, en 2008). Mais il y a là de quoi faire un film bien efficace. L'auteur paraît d'ailleurs proche des milieux hollywoodiens: la page des remerciements recense entre autres l'acteur Ben Stiller. Enfin, "Les Ruines" a été adoubé par Stephen King en personne: "Un long cri d'horreur qui ne vous accorde aucun répit", en dit-il. Voyons, voyons...
De ce roman, le lecteur retiendra le lent, très lent crescendo dans l'horreur. Le point de départ est presque banal: une poignée de sales jeunes plus ou moins immatures font du tourisme au Mexique. Facile de s'identifier à ces lascars: chacun d'entre nous est parti en vacances sac au dos en des terres lointaines, s'est arsouillé à la tequila bon marché et a fricoté avec d'autres jeunes non moins immatures. L'auteur se complaît dans ce trip dès le début, quitte à paraître longuet...
... à sa décharge, on relève que l'auteur a retenu certaines leçons de Stephen King. Scott Smith instille l'inquiétude par le biais de choses anodines, et c'est une force mine de rien: un chapeau volé, des titres de transport foirés, des coucheries discrètes mais illégitimes. Discrètement, l'auteur installe un climat nerveux, tendu. Cela est encore souligné par le ressort de l'incommunication, exploité à plus d'une reprise: les Américains ne comprennent pas les indigènes, ni les touristes grecs. Les malentendus sont programmés, donc. Cela dit, pour bien asseoir son climat d'inquiétude bien moite, l'auteur prend son temps!
"Les Ruines" décolle lorsque les sales jeunes sont vraiment coincés, quelque part au coeur de la forêt vierge mexicaine, dans une clairière où pousse une ronce invasive aux comportements étonnants. Avant même de découvrir cette plante, le lecteur attentif à l'exploitation littéraire du décor restera épaté par l'usage que l'écrivain fait d'un certain puits, où l'un des personnages est descendu inconsidérément: sauvetage, allers et retours entre le puits et la surface, l'auteur parvient pour la première fois, enfin, à tenir son lecteur en haleine - et comment! - sur plusieurs dizaines de pages.
La description des ronces invasives est aussi un élément fort de ce roman. Là aussi, il y a un crescendo. Et pour bien horrifier le lecteur, l'auteur lui fait découvrir ces plantes en même temps que ses personnages, et fait d'elles un personnage à part entière, avec des propriétés étonnantes: la plante se nourrit de chair humaine, s'avère moqueuse, résistante et particulièrement invasive. Cela, quitte à ce que cela paraisse peu crédible par moments (une plante qui imite le chant d'une sonnerie de portable, euh...).
Les personnages sont donc cernés par cette plante dans une clairière. Autre force de l'auteur: il recrée avec pertinence les relations qui se mettent en place entre eux dans cet environnement confiné: tensions, rires forcés, hystéries, cris, dégagement de leaders. Cela, sans oublier le jeu des espoirs qui sont autant de leurres: l'auteur s'avère fin psychologue. Il y a quelques longueurs lorsqu'il est question de souvenirs, mais globalement, cela tient debout parce que chaque personnage est bien construit. Et ceux qui le sont un peu moins (par exemple Pablo, le Grec) sont vite mis hors jeu... c'est pratique, tiens!
Alors, qui va mourir d'abord? Qui sera le survivant? La cavalerie arrivera-t-elle à temps? L'auteur offre avec "Les Ruines" un roman d'horreur à l'américaine, assez classique (certains le trouvent convenu), solidement construit sur le thème de l'exploration. S'il souffre de longueurs et justifie assez mal son titre (la notion de "ruines" est peu exploitée, sauf à considérer que les personnages sont des ruines, condamnées avant d'avoir vraiment vécu), il offre aussi de superbes passages qui tiendront immanquablement n'importe quel lecteur en haleine.
Scott Smith, Les Ruines, Paris, Michel Lafon, 2007.
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