Lu par Francis Richard, Jean-Michel Olivier.
Il n'est guère besoin de présenter Mousse Boulanger, poétesse, écrivaine et comédienne bien présente depuis toujours (ou presque) sur la scène littéraire suisse romande. A titre personnel, je garde deux souvenirs d'elle. Lorsque j'étais à l'école secondaire, j'ai eu la chance d'assister à une animation théâtrale qu'elle a donnée. Et beaucoup plus tard, en 2012, elle m'a fait l'honneur de lire en public - et, ce faisant, de magnifier ô combien! - ma nouvelle "Cou lisse", troisième prix d'un concours organisé par l'Association vaudoise des écrivains. Dès lors, il était grand temps que je découvre ce qu'elle a écrit - et son court roman "Les frontalières" m'en a donné l'occasion ces derniers jours - avec la complicité de Christiane Bonder pour les dessins du livre.
On l'a compris, Mousse Boulanger, c'est une voix autant qu'une écrivaine - voire plus. Dans "Les frontalières", elle se glisse avec succès dans la peau d'une fillette dont l'enfance s'achève peu à peu. La parole donnée à cette fille est d'un grand naturel: on croirait l'entendre parler. Sans lourdeur, elle dessine la relation fille-mère, observée du point de vue de la fille. C'est avec tout autant de naturel que des mots typiquement suisses, voire jurassiens, parfois rares (qui sont les cavolants?), s'intègrent au discours de la fillette. La recréation s'avère crédible et aisée.
"Les frontalières": le titre lui-même est tout un programme, à l'heure où la libre circulation des personnes d'un pays à l'autre de l'Union européenne - et de quelques pays partenaires - est devenue la règle. Force est de constater que les personnages du roman de Mousse Boulanger n'ont pas attendu l'intégration européenne pour vivre à leur manière la liberté de franchir les frontières - en l'espèce celle qui sépare le Jura suisse et le Jura français. Ainsi se rend-on à Delle à bicyclette pour acheter un chapeau ou se faire une permanente... Naturellement, les douaniers veillent; mais quelques subterfuges tout simples suffisent à les faire regarder ailleurs: la traque du tourisme d'achats ne paraît pas être leur priorité.
C'est que ce roman, on l'apprend vite, se déroule en 1938. Le point de vue est celui d'une famille suisse. Dès lors, il y a certes la vente d'une ferme par des Suisses installés en France et qui, sentant venir le vent, souhaitent revenir au pays. Pour le reste, cependant, la lecture laisse l'impression d'une Suisse préservée, où les bruits de bottes arrivent par le biais de la radio ou de la presse - protestante ou catholique, c'est selon - et où l'on se soucie, c'est une chance, d'aller cueillir des framboises ou d'acheter de nouvelles chaussures. Le seul problème étant leur prix, même du côté français de la frontière... mais il n'est jamais insurmontable. L'impression est encore renforcée par la proximité de la nature et du monde rural, lieu de vie des personnages.
Par-delà la description d'une vie demeurée proche des bonheurs simples, l'essentiel est, au fil des pages, la complicité entre une mère présentée comme fantasque dans le prière d'insérer (mais j'ai plutôt eu l'impression qu'elle savait très bien ce qu'elle faisait) et une fille qu'on appelle, pour la première fois, "Mademoiselle" - signe qu'elle grandit. Et là, ce n'est pas le moindre mérite de l'auteure que d'avoir saisi, par quelques observations, l'imminence du point de bascule de l'enfance vers l'adolescence, voire vers l'âge adulte.
Mousse Boulanger, Les frontalières, Lausanne, L'Age d'Homme, 2013
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