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20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 23:01

hebergeur imageLe site de l'auteur.

Défi Rentrée littéraire 2014.

 

Il y a volontiers une part de voyage dans les romans de Mikaël Hirsch - voyage dans le temps avec "Le Réprouvé", voyage au Japon avec "Les Successions". La ville de Brest elle-même est bien observée dans "Avec les hommes". Mais l'auteur n'est jamais allé aussi loin dans l'exotisme qu'avec son cinquième roman, "Notre-Dame des Vents". Celui-ci transporte en effet son lectorat aux îles Kerguelen. Rien de moins! Cela commence comme une histoire d'amour et s'achève sur un trou noir... qui pourrait être le prélude à un voyage au centre de la Terre.

 

challenge rl jeunesse

Tout commence par une lettre mystérieuse, qui va accrocher le lecteur parce qu'elle pose plein de questions: de qui parle-t-on? Qui est Alexis? Qui est Philippe? Et qui est Joanne Apfel? En quelques pages de prologue, l'auteur présente son programme, dans un esprit d'exposition typique. Le geste du papier chiffonné dans la main de Joanne, montré en très gros plan, ouvre la porte à l'émotion: geste de dépit, de tristesse, de colère? Les réponses viendront en leur temps... mais l'impatience du lecteur suffit à lui faire tourner les pages.

 

L'auteur a-t-il fait le voyage aux Kerguelen? Le lecteur peut se le demander. La recréation des lieux paraît en effet crédible et réussie. Après avoir lu l'ouvrage d'Alexandra Marois, on retrouve certains emplacements devenus familiers, et l'on entend aussi parler les hommes, confinés sur l'île: le jargon tafien est présent dans "Notre-Dame des Vents", sans lourdeur: l'auteur lui ouvre l'accès à la littérature, avec un grand naturel.

 

Les relations entre les personnes venues de France, regroupées par activités, sont également dépeintes - avec l'intrusion d'un groupe de Chiliens errants, en situation irrégulière. Sont-ce des trouble-fête, des facilitateurs, des criminels? L'auteur les voit avant tout comme des êtres humains, nostalgiques d'un pays qu'ils ont quitté malgré eux, alors que les Français en mission à Kerguelen s'y trouvent par choix. Reste que pour tous, la vie à Kerguelen n'a rien d'évident, et l'auteur esquisse avec bonheur certains fragiles équilibres entre les humains.

 

L'auteur dépasse la simple description des lieux en donnant du sens à ceux qu'il décrit, et en particulier à l'église Notre-Dame des Vents, construite entre 1957 et 1958 à Port-aux-Français. Il lui trouve un rôle de frontière poreuse entre les territoires respectifs des groupes de population d'Alexis et de Joanne, des groupes qui ne se mélangent guère mais trouvent un point de contact dans les sentiments que ces deux personnages partagent. De même, l'église représente un point de contact problématique entre le monde terrestre des sciences, rationnel et athée s'il en est, et celui de la possibilité d'une spiritualité, d'un surnaturel - le point de contact étant concrétisé par les offices religieux, rituels faits avec les moyens du bord.

 

La deuxième partie du roman bascule cependant dans des lieux moins évidents, qui ouvrent la porte sur les coulisses de la recherche scientifique, pas toujours connues des chercheurs eux-mêmes, même s'ils sont en mission aux îles Kerguelen. Les allusions aux événements qui ont marqué la vie politique de l'année 1995 sont bien là, de même que les références au réchauffement climatique qui menace le délicat équilibre de la nature sur Kerguelen - l'auteur mentionne le chou de Kerguelen, mais évoque aussi la régulation de la population d'espèces importées par l'homme et retournées à l'état sauvage: rats, souris, bovins... Ils font écho aux pages d'un journal rédigé en 1975 et caché - avec cependant l'espoir réalisé d'une retrouvaille: cet objet fait figure de bouteille à la mer.

 

Ce journal, cette "bouteille de papier", fait écho à d'autres bouteilles à la mer, qui finissent par envahir le décor de manière quasi surréaliste. L'auteur place du reste une clôture de fil de fer barbelé entre le monde scientifique et rationnel de Port-aux-Français et cet univers étrange sur lequel son roman s'achève: des montagnes de bouteilles, et un grand trou noir. Et une disparition mystérieuse, annoncée dans le prologue.

 

Terre méconnue, peu courue par les écrivains, les îles Kerguelen deviennent ainsi le lieu de tous les possibles pour l'auteur qui s'y intéresse, de même qu'elles sont une terre vierge où beaucoup de choses restent à nommer et à découvrir. Sous la plume de l'auteur, elles peuvent aussi devenir, mine de rien, un espace où les puissances scientifiques du monde complotent ou s'affrontent. Autant dire que "Notre-Dame des Vents" est un roman d'une grande richesse, qui exploite toutes les possibilités que recèle le décor d'une île reculée. Voyageur, scientifique et fantastique, ce roman s'inscrit avec succès dans une tradition littéraire qui compte Jules Verne ou Edgar Allan Poe parmi ses représentants.

 

Mikaël Hirsch, Notre-Dame des Vents, Paris, Intervalles, 2014.

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commentaires

Y
Pour le moment, j'aime ce qu'écrit M. Hirsch, celui-ci est assez différent des précédents, et vraiment très bon, dépaysant on ne peut plus
D
On ne peut plus dépaysant, en effet, ou alors il faut se lever de bonne heure, en effet! Avec ce livre, les Kerguelen ont "leur" roman. Et il est vrai que l'auteur a le chic pour varier ses écrits, ses sujets, ses approches...
C
J'avais aimé ses 3 derniers romans (enfin un peu moins celui de l'an dernier) mais celui-ci ne me tente pas, sans doute à cause de l'aspect Jules Verne :)
D
Ah, pourtant... le voyage en vaut la peine! :-)

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