Lu par Adèle, Christine, Claude Le Nocher, Eireann, Oncle Paul, Shangri-La 62.
Défis Thrillers et polars et Vivent nos régions.
Hervé Jaouen fait partie des auteurs que j'aime lire de temps en temps. Il est dès lors étonnant que je n'aie pas eu l'occasion de vous en parler sur ce blog jusqu'à présent; mais il n'est jamais trop tard. Avec "Flora des embruns", l'auteur, breton jusqu'au bout des ongles, frappe un joli coup. Et les Presses de la Cité ont eu raison de rééditer, en 2012, ce roman paru pour la première fois en 1991. Un temps où l'on comptait encore en francs français...
Le terrain de jeu préféré de l'auteur, c'est la Bretagne, on le sait. Ses romans démontrent volontiers le décalage entre une Bretagne de toujours, empreinte des traditions dans ce qu'elles peuvent avoir de plus rigide et en phase avec une certaine modernité. Dans "Flora des Embruns", le va-et-vient entre la Bretagne d'autrefois et la Bretagne actuelle est omniprésent, créateur de tensions fondamentales et d'anecdotes cocasses ("...et le batteur de l'orchestre - les Seagulls (les Cigales, traduisaient les vieux): un employé de mairie...", p. 35). L'auteur signale systématiquement comment c'était avant - tout en se gardant bien de dire que c'était mieux: au lecteur, et à lui seul, de juger.
Deux époques... c'est ainsi que s'installe un rythme binaire parfaitement en phase avec le propos du roman. Il y a deux époques (avant et maintenant), des lieux qui vont par deux (la Bretagne et l'Ecosse, mais aussi la Bretagne des îles et la Bretagne du continent), et il faut être deux, ni plus ni moins, pour faire un couple. Dès lors, l'auteur a beau jeu d'introduire une fausse note dans ce rythme binaire rassurant: l'entourage masculin de Flora, la serveuse du bar des Embruns, est un peu trop nombreux pour former un simple couple. Introduite dans une musique binaire bien réglée, cette mesure à trois temps (Flora la serveuse, Vinoc le marin, Nonna le richard local dominant) fait figure de dissonance. Et en musique comme en littérature, les dissonances, ça se résout. Et sans vouloir en dire plus, tout en filant la métaphore musicale, force est de constater que ce roman ne s'achève pas sur une tierce picarde...
L'auteur se montre adroit dans la construction de ses personnages. Cette adresse éclate dans les dialogues, recréés avec vigueur. Le lecteur adorera donc la gouaille de Marie, la soubrette de l'hôtel, ou de Viviane, la fille de Flora. Celle-ci acquiert une couche supplémentaire de personnalité, dans la mesure où l'auteur lui offre un rôle plus large. Sa tenue vestimentaire faite de minijupes et de fanfreluches sexy, ses propos à double entente et ses idées de sorties font d'elle, dans l'esprit du lecteur, l'archétype de la fille facile, à peine majeure d'ailleurs.
Polar, pas polar? Il est vrai que souvent, les auteurs de romans policiers font en sorte que les personnages et le lecteur soient également éclairés sur l'issue du récit. Hervé Jaouen se montre plus subtil. Jamais, dans "Flora des Embruns", la population du village côtier breton ne saura ce qui s'est vraiment passé lors de la tragique expédition en mer du bateau "Flora des Embruns". Ainsi persistent et prospèrent les légendes... En revanche, le lecteur en saura plus - quitte à ce que l'auteur insiste un peu lourdement, par exemple sur les liens occultes qui rapprochent Viviane et Hans Rosen.
L'auteur, enfin, recrée le décor de la Bretagne profonde avec force détails. La richesse du vocabulaire utilisé, en particulier en ce qui concerne la marine, est un élément important de cette reconstruction. Du coup, l'on s'y croit. De même que l'on s'y croit lorsque l'auteur, décidément habile à construire ses dialogues, fait monter la tension à force d'échanges fielleux ou venimeux. Globalement classique et efficace, l'écriture de "Flora des Embruns" permet de mettre ponctuellement en valeur les moments les plus chauds de la narration, simplement en leur donnant un supplément de vigueur, de grossièreté, de venin, de gouaille. Le cocktail est réussi...
Hervé Jaouen, Flora des Embruns, Paris, Presses de la Cité, 2012.
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