Lu par Agathe de Lastyns, Alain, Alex, Alfie, Babouilla, Bibliofractale, Calokilit, Cannafish, CarmenCanada, Caroline Albenois, Céline, Delph, Esperluette, Evasion, Kathel, Lettre écarlate, Lolo, Lucie, Manuel Ruiz, Mésange bleue, Passion Polar, Pat, Pause Toujours, Philippe Poisson, Skriban, Territoire Polar, Véronique, Véronique D., V&P, Wrath, Yan, Zazymut.
Défi Thrillers et polars.
Du travail d'orfèvre, comme il se doit au 36 Quai. Vertigineux jusqu'à s'y perdre. C'est ce que l'on se dit après avoir tourné la dernière page de "Quai des enfers", première incursion d'Ingrid Astier dans le domaine du roman policier. L'ouvrage fonctionne de manière classique, avec la recherche, tout au long de l'intrigue, de l'identité du criminel - révélée en fin de roman, comme il se doit. Il est rehaussé par une description finement détaillée de Paris, de ses légendes, de ses personnages, de ses lieux. Avec la Seine qui, au coeur de ce monde, fait figure de personnage principal.
La Seine où tout démarre, en effet, puisque, par une froide nuit de décembre, des policiers de la Fluviale découvrent un cadavre de jeune femme sur une barque. Du travail d'esthète... Dès lors, la promenade commence. Il y a du réalisme photographique là-dedans, et l'on s'y croirait: les rues sont systématiquement nommées, les restaurants cités existent réellement (on pense au Baratin, où l'on sert effectivement un vin nommé Pinoteau), et les bâtiments sont souvent décrits de façon scrupuleuse. Esthétique du crime contre esthétique hyperréaliste: l'un peut être considéré comme le reflet formel de l'autre, donnant l'impression d'une adéquation entre la forme et le fond. Cela paraît pertinent.
Reste que pour le lecteur de policier, l'ensemble, certes très soigné, manque un peu de nerf: la précision engendre une certaine lenteur dans la narration, et celle-ci n'est pas toujours de mise. Dès lors, à plus d'une reprise, on a presque envie de sauter des lignes, voire une page. Cette impression de lenteur s'installe dès le début, qui montre des membres de la police fluviale en action; en cet endroit précis, elle se justifie pour installer un suspens. Plus loin, la même justification du ralenti littéraire est parfois présente (faire attendre le nom du coupable), mais pas toujours. Ce n'est que partiellement que la brièveté de certains chapitres vient contrebalancer cette impression de lenteur.
Autre avatar du réalisme poussé de ce roman, il apparaît par ailleurs que l'auteur est allée jusqu'à s'inspirer de manière très directe de personnages parisiens ou de gens de son entourage pour créer ses personnages. En parlant de personnages, l'onomastique, par son originalité, a de quoi intriguer, voire dérouter au fil du jeu des surnoms. Le lecteur attentif notera entre autres qu'un certain Jo Desprez est mélomane... ce qui renvoie au souvenir musical du compositeur Josquin Desprez. D'ailleurs, "Quai des enfers" est un roman plein de musique, où même György Ligeti a un rôle à jouer.
Que d'éclectisme et que de suspens donc! Et cela, avec un souci consommé du détail. Il est d'autant plus regrettable que tout cela prenne de la place, au détriment d'une intrigue qui, si elle marie de manière heureuse classicisme et originalité (ah, le modus operandi du meurtre de Kéa Sambre!), aurait mérité d'être un brin plus nerveuse.
Ingrid Astier, Quai des enfers, Paris, Gallimard/Série noire, 2010.
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