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24 juin 2014 2 24 /06 /juin /2014 20:51

hebergeur imageLes Mosuo sont une société minoritaire qui vit en Chine, entre Yunnan et Sichuan. Leur particularité? Ce groupe de population est régi selon des règles matriarcales. Le journaliste argentin Ricardo Coler a voulu en savoir plus. Son livre "Le royaume des femmes" est le fruit d'un séjour sur place qui a duré plusieurs mois.

 

Court et concis, richement illustré, "Le royaume des femmes" est indéniablement un ouvrage qui s'adresse au grand public. Au fil des pages, on sent la patte du reporter, qui approche les gens et leur pose des questions, et s'arrête parfois pour donner quelques indications factuelles, peut-être puisées dans une encyclopédie, sur ce qu'il observe. Tel est le travail de mise en contexte...

 

Les limites d'une démarche

Reste qu'au-delà de la description d'un certain mode de vie, la démarche a ses limites. Le lecteur occidental, de l'Ancien ou du Nouveau monde, a envie d'en savoir plus, en effet, sur une société dont il perçoit bien qu'elle est fondamentalement différente de la sienne. Or, l'auteur, peut-être limité par la barrière des langues et par le recours encombrant à un interprète, demeure à la surface des choses. Lors des entretiens, il ne pose guère de questions qui fâchent. Et si d'aventure, il glisse quelque chose d'un peu pointu, il se heurte à des interlocuteurs fermés - des interlocutrices, le plus souvent d'ailleurs, les hommes, sous-employés par un système qui n'a guère besoin d'eux, étant occupés à la sieste ou au mah-jong.

 

Il en résulte l'impression tenace d'une superficialité certaine: l'auteur s'arrête un peu trop facilement aux réponses toutes faites. L'impression est aggravée par le fait que l'auteur refuse d'analyser, d'interroger - et laisse l'impression peu crédible que la société Mosuo est finalement formidable puisque tout le monde y vit de manière heureuse - les femmes, qui mènent la barque et font tout, et les hommes, relégués on ne sait trop où dans une société qui n'a pas de projet pour eux.

 

Une société qui suscite le malaise

Sans s'en rendre compte sans doute, les interlocutrices féminines de l'auteur laissent transpirer dans leurs propos une forme de misandrie ordinaire, qui suscite un malaise: "- Comment le travail domestique est-il réparti? - Il n'est pas réparti du tout. C'est nous, les femmes, qui faisons tout le travail. Nous préférons nous en occuper nous-mêmes, comme ça, ça va plus vite et c'est mieux fait." Que la femme qui a déclaré ça comme une grande (p. 41) dise franchement que les hommes sont des incapables! De même, les femmes considèrent que les hommes ont de grandes responsabilités, mais avancent aussi que ce n'est pas si important... il y a de quoi rester perplexe, ou flairer, à travers les mots de l'auteur, une forme de sexisme plus ou moins bienveillant.

 

Comme si cela ne suffisait pas, la description de cette société chinoise, qui rapproche chez Ricardo Coler les choses vues et les choses sues, pose quelques questions et n'est pas sans susciter un certain malaise: le "mariage de passage", où Madame accueille ses amants de passage en toute liberté dans sa chambre (les hommes vivent chez leur mère), favorise une société où les enfants ne connaissent pas leur père à coup sûr. Pas grave, dira-t-on, puisque les oncles, frères de la mère, jouent le rôle de référent masculin... Cela étant, est-ce un cadeau, pour la vie d'un enfant, que de le priver ainsi de son père biologique? Cela nous renvoie à d'autres débats d'actualité...

 

Tout fonctionne parfaitement, vraiment?

Le malaise est d'autant plus grand que l'auteur s'arrête à une vision superficielle qui lui dit que tout va bien et que le système social des Mosuo en vaut bien un autre, d'inspiration patriarcale: "Une société aux antipodes de la nôtre et qui, pourtant, semble fonctionner parfaitement", dit la quatrième de couverture. Il est dommage que l'auteur n'ait pas cherché à casser ce "semble".

 

"Le royaume des femmes" est donc à considérer comme ce qu'il est: le compte rendu d'un reporter qui a passé quelques mois dans une société parfaitement étrangère, fonctionnant en vase clos sans donner l'impression d'une quelconque volonté de remise en question. Elle renvoie aussi l'image d'un certain archaïsme, entre attachement aux coutumes, usage d'une langue particulière, communautarisme et port de costumes traditionnels. C'est un premier aperçu, qui intrigue mais, avare en analyses fouillées, ne va guère au fond des choses. L'ouvrage de référence sur les Mosuo et sur leur société matriarcale atypique, à la fois fouillé et accessible, reste donc à écrire...

 

Ricardo Coler, Le royaume des femmes, Paris, Presses de la Cité, 2011. Traduction de l'allemand par Danièle Darneau.

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commentaires

P
Dommage que cet essai reste mal documenté. Quant à la misandrie, je suis heureuse de voir qu'elle choque. Cela permettra peut-être aux misogynes de comprendre que leur comportement est tout aussi choquant !
D
Effectivement, ce livre reste du niveau du reportage plus que de l'analyse universitaire serrée - ce qui est un peu dommage. Question misandrie, je le relève parce qu'il arrive qu'on voie actuellement des personnes en vue, sous nos latitudes, tenir des propos du même genre sans que cela ne soit relevé. Si l'on dénonce la misogynie, à une époque où l'on vise une certaine égalité entre les sexes/genres, on doit aussi dénoncer la misandrie, d'où qu'elle vienne... Bon, je prêche un peu pour ma paroisse, là!... ;-)

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