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30 décembre 2013 1 30 /12 /décembre /2013 19:30

hebergeur imageLu par Alfred Eibel, Ma petite bibliothèque, Sophie, Stalker.

 

C'est l'histoire d'un critique littéraire, Marius, auquel tout le monde fait sentir qu'il est un peu un acteur de seconde zone. Mais c'est aussi l'histoire d'un Marius aux tendances paranoïdes, se sentant snobé à la moindre réserve. Il faut dire qu'il est catholique et noble - lourde hérédité. Rédigé par Marin de Viry, chroniqueur à la Revue des deux mondes comme son personnage, "Mémoires d'un snobé" pratique l'ironie corrosive avec intensité tout au long des deux cents pages de ce roman, dont le côté satirique est renforcé par l'usage de la première personne du singulier, usuelle depuis un certain Mathurin de Régnier.

 

En peignant par exemple, et dès les premières pages, des rendez-vous hasardeux, l'auteur pose la question suivante: ne sommes-nous pas toutes et tous, à un moment ou à un autre, le snobé ou le snob de quelqu'un?

 

L'auteur joue avec les codes du roman à clés, tout en brouillant les pistes dès l'exergue. Cela se concrétise par la mise en scène de quelques personnages célèbres dûment nommés (Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder, Benoît Duteurtre, Lolita Pille, pour ne citer qu'eux), de quelques inconnus qui pourraient être inventés, d'autres encore qui ne sont que prénommés, et même d'anonymes que les plus sagaces reconnaîtront autrement - par exemple ce personnage qui pourrait devenir premier ministre, et qui fait écho à la démonstration d'autorité de Marius au Flore. Dans la zone floue ainsi créée entre le réel et l'espace du roman, l'auteur a toute la place pour fourrer de quoi intriguer: certaines personnalités du milieu germanopratin se reconnaîtront, peut-être à tort, dans les personnages mis en scène. Enfin, le narrateur ne serait-il pas l'auteur lui-même, à peine travesti?

 

Quant à la géographie, l'auteur affirme que s'il situe son action dans le sixième arrondissement de Paris, c'est par commodité. On le suit volontiers lorsqu'il affirme qu'"une usine d'abattage de poulets aurait aussi bien fait l'affaire"; en revanche, quel meilleur endroit que ce qui, pour plus d'un lecteur, demeure (à tort ou à raison) le coeur de la production littéraire parisienne, pour ne pas dire française? Avec les personnages mentionnés ci-dessus, le lecteur imagine sans peine qu'il va se retrouver au centre d'un certain milieu branché. Celui-ci est dépeint avec une verve abrasive et exubérante qui éclate avant tout dans les dialogues. Peint avec toutes les outrances, le personnage de Marius y joue son rôle de Calimero victime du snobisme, menant la satire. C'est cependant dans un milieu privé, face à un réfrigérateur de taille respectable, que le narrateur atteint des sommets, jouant à "kikalaplugrosse" avec un de ses amis: le snobisme irait-t-il se réfugier jusque dans la taille des frigidaires?

 

Et là-dessus, vient se greffer une histoire d'amour contrariée. Elle dévoile un autre aspect de Marius, son côté "pauvre type", veule, incapable d'assumer ses sentiments. Sa troisième dimension, pourrait-on dire. Marius a quand même un instant de courage lors d'une soirée (quelques pages d'anthologie avec Frédéric Beigbeder comme meneur de cérémonie...), et se dévoile à Caroline, aux rythmes successifs des tagada et des youhou qui ont caractérisé une vie professionnelle à la poursuite d'ombres. Cela, jusqu'à un constat ultime: "C'est l'aube, j'ai opéré ma métamorphose, et rien n'a changé." Est-ce le prélude d'un nouveau point de départ? Un avatar de la crise de milieu de vie? La fin de "Mémoires d'un snobé" reste ouverte, montrant un narrateur qui tire le bilan de son existence et de dix-sept années sans succès. C'est qu'après tout, ces "Mémoires", improprement nommés finalement, sont plutôt une tranche de vie ouverte sur l'avenir.

 

Ouverte sur l'avenir? La structure cyclique du roman (qui commence et finit par des offices de funérailles catholiques) pourrait entendre que le narrateur va retomber dans l'ornière. Elle peut être lue de façon optimiste aussi: si le premier office de funérailles fait figure, de manière utilitaire, de petite scène d'exposition, le dernier peut être vu comme la métaphore de la fin d'une tranche de vie de dix-sept ans, dont le narrateur s'apprête à faire le deuil après un intervalle de quelques jours qui lui ont ouvert les yeux. 

 

Marin de Viry, Mémoires d'un snobé, Paris, Pierre Guillaume de Roux, 2012.

 

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