Lu dans le cadre du défi Nouvelles.
Une courte nouvelle d'ambiances, indéniablement. "Les Français parlent aux Français" campe l'atmosphère d'un bar où se trouvent deux dames qui discutent, par touches et glissements. A peine une péripétie, certes, mais tant de climats... et l'essentiel, au bout.
Alors que l'auteur aurait pu s'enliser dans des phrases dévertébrées, il parvient à rythmer son texte à l'aide de quelques procédés simples, qu'on identifie et qui font avancer le propos. Il y a quelques répétitions qu'on repère. On pense au mot "Paris" en page 7, qui donne une fugace impression d'omniprésence de la Ville Lumière - avec une allusion à la "traversée de Paris", rappel des années de guerre. Un rappel qui renvoie immédiatement au titre de la nouvelle, pour le moins évocateur.
Une autre astuce confère au texte un soupçon de rudesse: l'usage périodique de constructions segmentées: "C'est parce que je ne les ai pas connus, mes arrière-grand-parents." Enfin, il y a un procédé original: l'auteur a tendance à chasser ses compléments d'objet direct en fin de phrase, après les compléments circonstanciels: "Le serveur traverse la salle en poussant devant lui avec un balai un tas de papiers et de mégots." De quoi mettre en évidence ce qui paraît important et doit composer un environnement concret, tout en noyant l'accessoire, le contingent. Le lecteur, quant à lui, se sentira un peu bousculé. Fatalement.
Je l'ai dit, le tout est au service de la peinture d'ambiances. Le climat d'un bar est recréé par touches, dans une volonté de flou artistique maîtrisée. Plutôt deux fois qu'une, l'auteur promène son regard sur les clients du bar, des gens qu'on devine populaires. Deux fois, quelqu'un énonce "Les Français parlent aux Français", sans qu'on sache trop pourquoi. Trois fois, une chanson passe sur le juke-box. Et un couple d'amoureux s'enlace. Peut-on penser à l'image d'un éternel recommencement, d'un cycle - celui de la vie? L'image finale du grand-père qui ramène son petit-fils bavard de l'école le suggère fortement.
Cette image est en phase avec le reste du récit: après tout, tout s'ouvre sur l'évocation de la gestion de la dépouille d'une aïeule dans un caveau de famille. De bout en bout, le cycle de la vie est ainsi représenté - toujours la même chanson, comme celle du juke-box. Peu d'intrigue donc, mais tout un univers se retrouve concentré à l'abri d'un bar. Le tout est porté par une écriture à l'originalité discrète, qui sait malmener la langue juste ce qu'il faut pour en tirer la quintessence et dire l'essentiel en quinze pages bien comptées.
Luc Baptiste, Les Français parlent aux Français, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu Autour, 2008.
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