Lu pour le défi "Premier roman".
"Cosplay", c'est, pour le commun des mortels, un certain art japonais de se déguiser. Pour Laurent Ladouari, auteur du roman "Cosplay" (justement!), c'est une méthode managériale comme une autre, mise en scène dans un roman d'anticipation. "Cela n'a aucun sens", suggère le prière d'insérer... voire! En l'occurrence, le lecteur va être happé dans un jeu de masques tourbillonnant et non exempt de coups de théâtre - comme il se doit.
Précisons le contexte: vers la fin du vingt et unième siècle, l'entreprise 1T, vieille gloire de la production de processeurs, est au bord de la faillite. Son repreneur, Zoran Adamas, lance un grand jeu de rôles massivement multijoueurs, "Cosplay", dans cette entreprise. Les joueurs? C'est le personnel. Comme son nom l'indique, ce jeu se déroule masqué, ce qui permet tous les coups. Et si le début ressemble à un joyeux chaos, l'issue pourrait être fructueuse... ou pas. Là-dedans, l'auteur lâche une petite nouvelle, Katie...
La mascarade de tous les paradoxes
Ainsi naît une foisonnante comédie du management et des restructurations. A priori, le sujet aurait pu être tragique, sur fond de détresse sociale. L'auteur choisit un tout autre point de vue. Le Cosplay pousse au départ les personnes à la motivation chancelante et galvanise ceux qui sont passionnés. La narration suit une série de collaborateurs masqués, de tous niveaux hiérarchiques, bons et méchants. Le jeu de masques autorise tous les décalages: on trouve ainsi un Robespierre au discours un peu mou, et aussi un Gandhi armé d'un bazooka, qui a une "vision pour le moins musclée du pacifisme" (p. 394).
Chaque personnage réel est d'ailleurs invité à choisir son avatar dans un catalogue de personnages historiques réels ou mythiques, ce qui donne lieu à des présentations parfois cocasses. Qui se cache, par exemple, derrière la présentation "Vedette des guérillas, vendeur de T-shirts" (1)? Il va de soi que ces avatars puisent à toutes les époques, ce qui génère des rencontres pour le moins improbables entre figures du présent et du passé - un anachronisme organisé, donc.
Erudition et vision du management
Derrière l'esprit joyeusement carnavalesque de ce vaste roman, porté par l'énervante ritournelle "Mexico" de Luis Mariano, se cache une solide érudition. Les nombreuses références à l'Antiquité, à son histoire et à ses mythes rappellent certaines pages d'"Ilium" de Dan Simmons, en nettement moins ennuyeux malgré quelques longueurs: se croiseront ici Jules César et Cléopâtre, mais aussi Cincinnatus et d'autres. Les références à Alexandre Dumas sont aussi présentes. En particulier, le lien entre Katie Dûma (Dumas) et Athos (ce dernier étant une créature de Dumas) ne saurait échapper au lecteur. Cela, sans parler d'allusions répétées au comte de Monte-Cristo. Enfin, plus d'un personnage lit beaucoup, de Thomas Hobbes à Hector Malot en passant par Ayn Rand et quelques autres.
Et puis, il y a aussi une certaine conception du fonctionnement des entreprises qui transpire de ce roman. Une conception idéalisée et un poil manichéenne, opposant les entreprises à l'ancienne, pourries par le copinage et les malversations (voire, avec le personnage de Jenna Briggs, les progressions de carrière basées sur l'opulence d'une poitrine), et un nouveau système purement démocratique et méritocratique. Cela peut aller, entre les lignes, jusqu'à suggérer au lecteur qu'il peut aussi arriver, dans son entreprise, rien que par son talent - et ce, de manière fulgurante. Un point de vue qui mérite d'être nuancé...
Un roman d'aventures costaud
Si cette vision peut faire débat, force est quand même de constater qu'en bon écrivain de romans d'aventures, l'auteur sait faire rebondir son intrigue de façon captivante et efficace, après un début lent qui prend le temps de se mettre en place et, mine de rien, d'intriguer le lecteur. La fin met en scène ceux qui tirent les ficelles, jouant aux échecs. Elle laisse aussi le lecteur... sur sa faim, concernant un ou deux éléments: qu'advient-il de l'idylle entre Hélène et Tancrède? Que va-t-il advenir du projet de cerveau artificiel qui devrait faire renaître 1T de ses cendres (comme un phénix - tiens, c'est comme par hasard le nom du groupe auquel 1T appartient...)? Que sont les "volutions", en définitive? Ce roman se présente comme la première de celles-ci. Il devrait y en avoir d'autres, qui devraient apporter des réponses à ces questions au fil de romans successifs.
"Cosplay" laisse donc l'impression d'un récit aux fondements solides, qui pourraient être plus subtils parfois; c'est aussi un roman d'anticipation captivant, exubérant voire baroque dans le propos sinon dans le style, et qui se dévore. L'anticipation s'avère essentiellement géographique et technologique; elle donne à voir une ville qui pourrait être Paris, séparée du reste du monde par un mur de 12 mètres de haut. Et elle est contrebalancée par une playlist qui fait la part belle aux chansons que tout le monde connaît - et qui, pour une bonne part, ont été des succès du vingtième siècle ("Money" de Pink Floyd, "Like A Virgin" de Madonna, "Revolution" des Beatles, etc.). Sans rien perdre d'un rythme qui fait écho à l'écriture rapide et alerte de l'auteur, elles seront donc devenues, pour ainsi dire, de la banale musique classique ou d'ascenseur à la fin du vingt et unième siècle...
(1) C'est Che Guevara (p. 123).
Laurent Ladouari, Cosplay, Paris, HC Editions, 2014.
Merci aux éditions HC et à Babelio pour le partenariat et l'envoi.
commenter cet article …