Lu par Nietzsche Académie.
Il y a quelque temps, Olivier Mathieu a publié le dernier épisode du vaste cycle des aventures de Robert Pioche – poursuivant ainsi, avec une détermination qui force le respect, une promesse d’enfant. Ce nouvel opus s’intitule «Jouissive à Venise». Colorée, sa couverture engageante montre le pont du Rialto à Venise; le choix des polices de caractère invite à la lecture.
Tout commence, dans le premier chapitre, sur le ton d’un bavardage qui n’est pas sans rappeler, par certains aspects, celui qu’affectionne Jean d’Ormesson. L’auteur donne une certaine rondeur à cette exposition du projet littéraire de «Jouissive à Venise». Cultivé et pertinent, le propos rapproche la possibilité de la mort de l’auteur et l’image de l’horloge sise Place Saint-Marc de Venise, face à laquelle les condamnés étaient exécutés, dit-on, afin qu’ils sachent précisément quelle fut «leur» heure.
Puis la dureté s’invite. Dureté des outils du dentiste, certes. Celle-ci fait écho à la dureté des invectives de l’auteur à l’encontre de quelques figures qui ont traversé son existence – leurs noms sont parfois travestis, de façon assez transparente – mais aussi de certains anonymes, «petits verrats bourgeois et frileux» qui «clament leur amour pour Nietzsche ou Léon Bloy». Une attitude qui peut paraître lourde pour le lecteur, qui cherche avant tout, en ouvrant «Jouissive à Venise», «un roman érotique à Venise»: même si ce sont là les mots d’un auteur qui se déclare «en guerre», est-ce indispensable? Est-il bien nécessaire, par ailleurs, de traiter ses amis de «connards»? Cela laisse un goût déjà connu de «Publikumsbeschimpfung» à la Peter Handke, sans en avoir l’impitoyable systématique.
Fort heureusement, le projet de l’auteur a aussi des aspects plus agréables. Il propose un double hommage à la fellation et à Venise. La relation avec Jouissive (pseudonyme du personnage féminin de «Jouissive à Venise») est actuelle: le fil rouge de ce roman est constitué par la description des quelques jours que Jouissive et Robert Pioche ont passés ensemble à Venise, fellations comprises.
En préambule, l’auteur se souvient, et c’est original, des pipes les plus mémorables qu’on lui a taillées (chapitre deuxième, «Chapitre en fellations»). C’est aussi l’occasion, pour le lecteur qui découvre l’œuvre d’Olivier Mathieu avec «Jouissive à Venise», de se rappeler la biographie de Robert Pioche. Cette dernière est familière à ses lecteurs habitués; ceux-ci seront cependant comblés par l’aspect «fellation» de cette biographie récapitulative.
Venise est vue à travers le prisme de l’existence de Carlo Gozzi et des traces qu’il a laissées dans la Sérénissime, entre autres les fameuses «trois planches» qui relient deux bâtiments afin que le dramaturge vénitien puisse rejoindre discrètement son amante. L’auteur présente d’ailleurs Carlo Gozzi comme «l’homme qu’on avait toujours pris pour un autre», relevant l’écart qui existe entre sa perception de l’écrivain et celle qu’en ont les historiens. Une différence qui fait écho à l’écart qui existe entre ce que le grand public connaît d’Olivier Mathieu et ce qu’il est vraiment.
Le meilleur ouvrage de l’auteur, alors? Certes, les pages d’invectives ont quelque chose de peu agréable à entendre, et ne sont pas les plus enchanteresses de ce roman. Pour le reste, les habitués retrouveront dans « Jouissive à Venise » certains épisodes et obsessions récurrents dans la geste de Robert Pioche, et n’en seront donc guère surpris. Les nouveaux lecteurs, quant à eux, y découvriront une synthèse et la narration d’une intense tranche de vie. Le propos est clair voire explicite, et le rythme est maîtrisé, ce qui rend ce roman accrocheur. Quant à la personne de Jouissive, le lecteur captivé la retrouvera comme préfacière de «Châteaux de sable», le dernier roman d’Olivier Mathieu, qui paraît justement ces jours-ci.
Olivier Mathieu, Jouissive à Venise, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2013.
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