Lu dans le cadre du défi Nouvelles.
"Le Joker" est le premier recueil de nouvelles d'Hélène Jousse, qui est également connue comme sculpteur (son site est là), disciple d'Alain Vuarchex et Brigitte Terzieff, remarquée par Pierre Assouline. Paru chez Quadrature, éditeur belge spécialisé dans les recueils de nouvelles, ce livre donne à voir les petites fissures qui se font jour dans des vies ordinaires. Cela, avec une certaine attention portée sur les couples, avec ou sans enfants.
Le plus souvent, le réel finit par rattraper l'imaginaire de vie des personnages mis en scène. Dès lors, les nouvelles présentées dans "Le Joker" sont des nouvelles à chute. Certaines sont mieux amenées que d'autres - on a par exemple un peu de peine à imaginer que, dans "Les colis de Félix", les destinataires de ces colis n'aient rien vu de particulier... en revanche, la finale du "Seau de cerises" a quelque chose d'un peu gaulois et vaudevillesque qui ne peut qu'emporter une adhésion souriante. Parfois, par exemple dans "Les rêveurs", elle met en évidence ces mensonges qui cimentent les couples, plus sûrement que l'idéal de vérité qui devrait, dit-on, régner. Enfin, la chute de la nouvelle "Le dernier bain" est particulièrement vacharde... et habile: on ne la sent pas forcément venir.
Le lecteur peut regretter ici les démarrages parfois laborieux des nouvelles. Cela part cependant d'une bonne idée: camper le décor, présenter les personnages en les décrivant. Cela dit, eu égard à la brièveté et à la fulgurance du genre de la nouvelle, on aurait pu attendre une plus grande arrivée au fait: il faut par exemple pas mal de temps pour faire le tour du personnage féminin des "Rêveurs" avant qu'enfin, le vif du sujet n'advienne. Récurrente, cette structure contribue à créer un peu d'ennui chez le lecteur qui lit ce recueil.
On goûtera cependant une certaine diversité dans la mise en scène. Certains textes s'ancrent dans une époque mal définie qui pourrait être la nôtre; d'autres, en revanche, s'inscrivent dans la grande histoire. "La Collection de timbres" relève ainsi d'un excès de confiance sur fond de Seconde guerre mondiale; "Les colis de Félix" rappelle le retour forcé ("la valise ou le cercueil") des colons français en Algérie. Quant à la nouvelle "Le Rétroviseur", la simple présence d'une Citroën DS permet de la dater.
Le recueil "Le Joker" se caractérise ainsi par la grande unité formelle des nouvelles qui le composent. Une unité excessive, peut-être? Assortie à un côté formellement abouti mais un peu froid et "bon élève", celle-ci empêchera le lecteur d'être enthousiaste sans réserve. Le lecteur attentif aura cependant quelques agréables surprises, comme l'exploitation fouillée et malicieuse du champ lexical des jeux de cartes et de hasard dans la nouvelle "Le Joker", fort réussie, qui ouvre le recueil et lui donne son titre.
Hélène Jousse, Le Joker, Louvain-la-Neuve, Quadrature, 2013.
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